Le refus du renouvellement par le bailleur
À l’expiration d’un bail commercial, le locataire dispose, par principe, d’un droit au renouvellement du contrat de bail commercial. Mais le propriétaire peut refuser de le renouveler.
Quelles conséquences pour le locataire et pour le bailleur ?
Refus du renouvellement avec indemnité d’éviction
Refus du renouvellement sans indemnité d’éviction
Le bailleur peut refuser le renouvellement du bail sans être tenu du paiement d’aucune indemnité s’il justifie d’un motif grave et légitime à l’encontre du locataire sortant (C. com. art. L 145-7, I-1°). Les motifs retenus pour justifier le congé sans indemnité d’éviction peuvent être de deux ordres : contractuels et extracontractuels.
L’auteur des fautes
Le motif grave et légitime du refus de renouvellement peut être constitué par une faute imputable au locataire ou aux personnes dont il répond (Cass. 3e civ. 11-6-2008 n° 07-14.256 FS-PB : RJDA 11/08 n° 1098).
Ainsi jugé que :
- les actes commis par les représentants légaux d’une société sont imputables à cette dernière, même s’ils n’entrent pas dans l’objet social (Cass. 3e civ. 29-6-1977 n° 75-15.264 : Bull. civ. III n° 295) ;
- peuvent être retenues les violences du conjoint du locataire exercées sur le bailleur (Cass. com. 14-2-1961 n° 59-10.106 : Bull. civ. III n° 83) ou les violences commises par un préposé du locataire contre le bailleur (Cass. com. 10-10.1961 n° 59-13.141 : Bull. civ. III n° 351), voire les violences exercées sur la femme du bailleur par un colocataire (Cass. 3e civ. 6-3-1996 n° 94-12.163 F-D : RJDA 6/96 n° 759).
- sont assimilés au locataire les membres de sa famille, préposés, sous-locataires, locataire-gérant ou copreneur.
A l’inverse, ne peuvent être pris en compte les manquements :
- Commis par un prédécesseur
Motifs contractuels
Il peut s’agir de motifs liés à l’exécution du bail. Tel est le cas lorsque, comme en l’espèce, le locataire ne respecte pas le règlement de copropriété. Tel est également le cas si le locataire ne respecte pas la destination du bail (CA Rouen 3-3-2010 n° 09-772 : RJDA 8-9/10 n° 832).
Les motifs suivants sont suffisamment graves et légitimes pour justifier le congé et l’absence d’indemnité d’éviction :
- le fait pour la mère, responsable du magasin, d’avoir stationné son véhicule dans la cour commune de la copropriété ; en effet, le bail commercial conférait au locataire l’usage d’un neuvième de la cour mais il ne lui accordait pas expressément le droit d’y stationner un véhicule ; le locataire devait se conformer aux dispositions du règlement de copropriété, qui ne permettaient pas le stationnement prolongé des véhicules dans la cour ; bien que le locataire ait été mis en demeure de cesser cette infraction, car le véhicule gênait les manœuvres des autres copropriétaires, le véhicule était demeuré stationné plus d’un mois après la mise en demeure ; cette infraction avait occasionné une gêne intangible aux autres occupants des lieux et était de nature à exposer les bailleurs à une action intentée par les copropriétaires ;
Motifs extracontractuels
Il peut s’agir aussi de motifs extracontractuels.
Les fautes extracontractuelles tenant au comportement du locataire peuvent être retenues comme un motif légitime du congé dès lors qu’elles revêtent un caractère suffisamment grave et qu’elles ont un lien suffisant avec l’exécution du bail.
Les motifs suivants sont suffisamment graves et légitimes pour justifier le congé et l’absence d’indemnité d’éviction :
- les violences exercées par le locataire sur le bailleur (CA Pau 7-4-2008 n° 05-1070 : RJDA 1/09 n° 13)
- le comportement agressif du gérant et de sa mère avec propos insultants ou provocants à l’égard des bailleurs et d’avoir fait preuve d’actes de violence à l’encontre de membres de leur famille ; en outre, diverses attestations établissaient l’existence d’un comportement agressif des associés de la société locataire à l’encontre des bailleurs ou de leurs proches, comportement inadmissible que l’existence d’un différend sur l’état des locaux loués ne suffisait pas à justifier. (CA Rouen, ch. civ. et com., 14 sept. 2023, n° 21/04099)
- le fait pour le locataire de produire, au cours de l’expertise destinée à évaluer l’indemnité d’éviction, des documents qu’il savait inexacts, en vue de bénéficier d’une augmentation indue du montant de cette indemnité (Cass. 3e civ. 19-12-2001 n° 00-14.425 FS-PB : RJDA 5/02 n° 480).
Dénégation du statut des baux commerciaux
Un bailleur peut délivrer un congé sans offrir d’indemnité d’éviction à son locataire en lui déniant l’application du statut des baux commerciaux. Pour cela, il faut que le locataire ne remplisse pas les conditions légales, nécessaires à l’application du statut des baux commerciaux. Juridiquement, cela s’appelle une « dénégation du statut des baux commerciaux ». Le bailleur qui a offert le paiement d’une indemnité d’éviction, après avoir exercé son droit d’option, peut dénier au locataire l’application du statut des baux commerciaux. Pour cela, il faut qu’aucune décision définitive n’ait été rendue sur la fixation du montant de cette indemnité d’éviction.
Droit de reprise du propriétaire
Il est des cas où le propriétaire peut refuser le renouvellement sans indemnité, ou avec une indemnité forfaitaire, pour des motifs tirés de sa propre situation. On dit qu’il exerce alors un « droit de reprise ».
Locataire : comment réagir pour se faire payer une indemnité d’éviction ?
Lorsque le bailleur délivre un congé avec refus de renouvellement, le locataire qui entend demander le paiement d’une indemnité d’éviction doit saisir le tribunal avant l’expiration du délai de deux années à compter de la date pour laquelle le congé a été donné pour ne pas encourir la prescription biennale de l’article L 145-60 du Code de commerce (C. com. art. L 145-9, al. 5). Le délai de prescription est interrompu par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit (C. civ. art. 2240), ainsi que par une demande en justice, même en référé, jusqu’à l’extinction de l’instance (C. civ. art. 2241 et 2242) ; il est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (C. civ. art. 2239).
La prescription : attention en cas d’expertise demandée par le bailleur !
Le délai de prescription est interrompu par la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit (C. civ. art. 2240), ainsi que par une demande en justice, même en référé, jusqu’à l’extinction de l’instance (C. civ. art. 2241 et 2242) ; il est suspendu lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès (C. civ. art. 2239).
La mesure d’instruction avant tout procès : suspension que pour celui qui la demande
Le locataire qui n’a émis que des réserves lors de la demande d’expertise formulée par le bailleur en vue d’évaluer le montant de l’indemnité d’éviction ne peut pas se prévaloir d’une suspension ou d’une interruption de la prescription de son action en paiement de l’indemnité. CA Paris 13-6-2024 no 22/08263, ch. 5-3
Autrement dit, si l’expertise demandée uniquement par le bailleur se termine plus de deux ans après la délivrance du congé, le preneur ne pourra pas une fois le rapport déposé assigner en paiement de son indemnité d’évictione puisqu’il ne bénéficie pas de la suspension de l’expertise. Il faut donc que le preneur assigne immédiatement dès la réception du congé et demande un sursis à statuer dans l’attente du rapport d’expertise.
Il s’agit d’une pratique bien rodée : un bailleur assigne en référé expertise pour désigner un expert chargé de donner son avis sur le montant de l’indemnité d’éviction à laquelle pourrait prétendre le locataire. L’expertise dure, dure, dure. Le locataire se laisse porter, fait ses dires. Et le délai de deux ans saute, le locataire n’a que ses yeux pour pleurer (et une action en responsabilité contre son avocat).
La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrit
S’agissant de la reconnaissance du droit du locataire à obtenir une indemnité d’éviction, il a déjà été jugé que
- le seul fait pour le bailleur de délivrer un congé avec offre de paiement d’une indemnité d’éviction en application de l’article L 145-9 du même Code ne vaut pas reconnaissance de ce droit à indemnité (Cass. 3e civ. 30-3-2017 no 16-13.236 F-D : RJDA 8-9/17 no 537) et n’interrompt donc pas le cours de la prescription. La reconnaissance n’est soumise à aucune forme mais elle doit être sans équivoque.
- La saisine du juge des référés par le bailleur pour obtenir une expertise judiciaire portant sur l’évaluation de l’indemnité d’éviction qui pourrait être due et la participation à cette expertise ne caractérisent pas une reconnaissance par le bailleur, dépourvue d’équivoque, du droit du locataire à recevoir le paiement d’une indemnité d’éviction, compte tenu de l’utilisation de formulations au conditionnel ; il n’y avait donc pas eu interruption de la prescription.