Fortement influencés par les séries américaines, de nombreux époux cherchent à tout prix à obtenir un divorce pour faute en prouvant notamment via un constat d’adultère par huissier de justice (commissaire de justice) l’infidélité de l’autre époux en pensant que ça leur sera utile.
Pourtant, le fait d’obtenir un divorce pour faute n’a en pratique aujourd’hui pas grand intérêt ni financier ni pratique.
Qu’est-ce qu’une faute ?
Une faute est une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage imputable au conjoint et qui rend intolérable le maintien de la vie commune (C. civ. art. 242). La faute peut être unique si elle est grave, elle peut être légère si elle est renouvelée (Cass. 2e civ. 8-11-1989 n° 88-18.033).
Les principales fautes invoquées sont :
- Infidélité
- Abandon du domicile conjugal
- Violences
- Comportement injurieux, humiliations et dénigrements
- Défaut d’assistance
- Défaillance à l’égard des enfants
- le refus de toute relation sexuelle sans circonstances particulières sur une longue période de temps
- une pratique religieuse excessive ayant créé dans le foyer une atmosphère pesante de contrainte et de soumission permanente (Cass. 1e civ. 19-6-2007 n° 05-18.735) ;
La disparition de l’intérêt pratique du divorce pour faute
Jusqu’en 2004
Jusqu’en 2004, il n’était possible d’obtenir le divorce que pour 3 raisons :
- Le consentement mutuel, qui nécessitait un accord conjoint des deux époux
- La rupture de la vie commune
- La faute
Autrement dit, sauf accord des deux époux (ce qui n’est par définition pas le cas dans un divorce contentieux), l’époux demandeur au divorce devait soit prouver la faute de l’autre époux soit la rupture de la vie commune.
Le problème est que la notion de “rupture de la vie commune” était strictement appliquée par les tribunaux qui exigeant six ans de séparation avant l’introduction d’une assignation en divorce. De plus, ce motif de divorce entrainait des dispositions procédures complexes (impossibilité de présenter une demande reconventionnelle sur le même fondement par le défendeur, etc.).
En outre, le divorce pour “rupture de la vie commune” ayant les conséquences d’un divorce aux torts exclusifs était très pénalisant pour le demandeur :
- Le devoir de secours était maintenu, ce qui se traduisait par l’octroi du défendeur d’une pension alimentaire révisable à la baisse, mais aussi à la hausse.
- il devait assumer toutes les charges du divorce
- le juge pouvait concéder à l’autre époux le bail forcé du logement appartenant au demandeur même en l’absence d’enfants mineurs
- s’agissant d’un demandeur homme, il ne pouvait pas s’opposer à ce que sa femme conserve l’usage de son nom
Surtout, le juge pouvait refuser le divorce si l’autre époux établissait que le divorce aurait pour lui ou pour les enfants des conséquences matérielles ou morales d’une exceptionnelle dureté.
Résultat, ne restait pour l’époux demandeur au mariage que la demande de divorce pour faute qui permettait, en cas de faute, d’obtenir de manière rapide un divorce. D’où tout le développement de mécanismes pas forcément très sains de part et d’autres pour prouver la faute de l’autre époux, au premier rand duquel l’infidélité qui a l’avantage de la simplicité et de l’automaticité.
À partir de 2005
Tout change avec la Loi n°2004-439 du 26 mai 2004 puisque 4 raisons existent dorénavant :
- Le divorce par consentement mutuel : suppose que les deux époux s’entendent sur le principe du divorce et sur ses conséquences. Depuis le 1er janvier 2017, la procédure est soit purement contractuelle, soit judiciaire. Dans ce dernier cas, le divorce peut être prononcé dès la première audience ;
- le divorce accepté (L’acceptation du principe de la rupture du mariage) est ouvert aux époux qui sont d’accord sur le principe du divorce mais non sur ses effets, qui seront décidés par le juge ;
- le divorce pour faute peut être demandé lorsqu’un époux a des fautes à reprocher à son conjoint ou lorsque les deux se reprochent mutuellement un comportement fautif ;
- le divorce pour altération définitive du lien conjugal permet un véritable droit au divorce. Il suffit que le juge constate que la communauté de vie entre les époux a cessé depuis un certain temps.
Vous l’aurez compris, la principale différence, hormis le rajout d’une procédure mi contentieuse mi amiable, est le remplacement de la “rupture de la vie commune” par “l’altération définitive du lien conjugal” qui est une notion bien moins exigeante.
Puisque l’esprit du législateur est là : procéder à « l’adaptation de notre droit aux évolutions sociologiques de la société française » et battre en brèche le principe d’indissolubilité du mariage.
En fait, cette réforme a pour but d’objectiver les motifs du divorce.
Autrement dit, s’il faut être deux pour se marier, il ne faut être qu’un pour divorcer. Dès lors qu’une partie souhaite divorcer, elle pourra l’obtenir sans avoir à prouver de faute “artificielle” pour les besoins de la cause de l’autre partie. Il existe aujourd’hui un droit au divorce.
En lieu et place des six ans requis par la rupture de la vie commune, l’altération définitive du lien conjugal n’exige plus que deux ans de séparation ( L’existence d’une cessation de la communauté de vie) avant l’assignation en divorce.
L’idée est de permettre aux personnes qui souhaitent obtenir le divorce malgré le désaccord de leur conjoint de ne pas à avoir à engager une procédure de divorce pour faute artificielle.
Le divorce pour faute, qui jusqu’en 2004 était l’option la plus pratique pour obtenir un divorce contentieux, a été marginalisée par le divorce pour altération définitive du lien conjugal devenu une sorte de “divorce sans faute”, plus rapide, moins cher et moins épuisant psychologiquement.
L’intérêt financier très limité du divorce pour faute
L’époux fautif garde-t-il son droit à la prestation compensatoire ? La réponse rapide est “non”, les fautes de l’époux n’ont en pratique que peu d’impact sur le montant de la prestation compensatoire.
L’absence totale d’effet de la faute
La répartition des torts n’a aucun effet sur :
- le sort des donations et avantages matrimoniaux ;
- la date d’effet de la liquidation du régime matrimonial ;
- les droits et devoirs des époux vis-à-vis de leurs enfants.
Les effets financiers très limités de la faute
Une possible suppression de la prestation compensatoire et indemnisation du préjudice …
La répartition des torts a des incidences financières particulières entre les époux mais elles sont limitées :
- l’époux qui obtient le divorce aux torts exclusifs de son conjoint peut obtenir des dommages et intérêts sur le fondement de l’article 266 du Code civil ;
- si l’équité le commande, et en fonction des circonstances particulières de la rupture, le juge peut refuser d’allouer une prestation compensatoire à l’époux contre qui le divorce est prononcé aux torts exclusifs.
C’est cette suppression de la prestation compensatoire que vise l’époux demandeur à la faute.
….Qui n’a en pratique jamais lieu
Pourtant, la jurisprudence est très réticente à l’accorder.
Un exemple : une épouse avait quitté le domicile conjugal pour aller vivre avec son amant, laissant deux jeunes enfants, dont un souffrait d’un handicap contraignant le mari à modifier sa carrière professionnelle afin d’être plus présent après le départ de leur mère. Le divorce a certes été prononcé aux torts exclusifs de l’épouse, mais la belle affaire, le mari a obtenu 2.000 € de dommages-intérêts en indemnisation de ces faits (article 266 du code civil), cependant que la femme a obtenu 21.600 € de prestation compensatoire, pour compenser l’écart de richesse entre eux deux. (Cass. 1re civ., 12 sept. 2012, n° 11-12.140).
Le motif avancé par la Cour de Cassation : “si le mari « ressent vivement les fautes commises par son épouse, l’équité ne commande pas au vu de ce qui précède de le dispenser du versement d’une prestation compensatoire »
Vu la gravité des fautes de ce cas, qui a déjà eu lieu il y a plus de 10 ans, l’obtention de la suppression d’une prestation compensatoire est quasi impossible même en cas de faute.
La faute dans le droit du divorce produit des conséquences inversement proportionnelles à celles qu’elle produit en droit des obligations, puisque seules les fautes les plus graves ouvrent droit à réparation, alors que le droit commun répare tous les préjudices, aussi faibles soient-ils.
Le mariage devient ainsi, pour l’essentiel, une zone d’irresponsabilité, où le seul critère qui compte, c’est la disparité des patrimoines : qui est le plus riche ? Qui le mieux portant ? Ce sera à lui de payer.
En droit français, le conjoint divorcé à ses torts exclusifs ne risque pas grand-chose, puisque même les conséquences d’une particulière gravité ne « valent » que 2 000 euros de dommages-intérêts, et que cela ne lui ôte pas le droit de demander une prestation compensatoire.
Le mariage apparaît plus que jamais comme un véritable risque:
- Un risque de voir son monde s’écrouler, et ses comptes se vider, après des années de vie commune, sans qu’aucun grief n’existe contre soi-même
- Un risque de devoir payer pour une personne qui vous a trompé, humilié, laissé vous débrouiller avec les enfants,
- Un risque, même si des magistrats jugent que tout cela vous a causé des conséquences d’une particulière gravité, d’être, dans tout le droit privé français, la seule victime d’agissements fautifs que le législateur a sciemment décidé de sacrifier, au rebours de toute l’évolution du droit de la responsabilité civile, où l’idée même de laisser une victime sans indemnisation est devenue insupportable.
Celui qui trompe, qui part, qui abandonne les enfants, ne risque absolument rien mais au contraire gagne une prestation compensatoire.
La situation est la suivante en cas de faute : Les magistrats n’osent pas :
- ordonner la suppression de la prestation compensatoire au nom de l’équité ;
- indemniser correctement celui ou celle qui subit des conséquences même d’une particulière gravité du fait de la rupture du mariage.
Pourquoi ? Parce qu’accepter d’utiliser le correctif en équité (supprimer la prestation compensatoire), c’est accepter de rouvrir la discussion sur les torts, ce qui n’est pas à la mode, et c’est accepter de dire que tous les comportements ne se valent pas, ce qui n’est pas non plus dans l’air du temps. Le Juge préfère juger vite, sur des choses simples (un patrimoine financier, des relevés bancaires) plutôt que de rentrer dans l’intimité du couple et ses querelles.
Voilà pourquoi je recommande non pas de travailler sur la preuve d’une faute, rarement acceptée, mais sur la présentation financière du patrimoine qui sera pris en compte pour évaluer la prestation compensatoire au juste montant.