Les moyens de défense

Le Code de procédure civile envisage, sous le titre V du livre Ier, trois moyens de défense :

  1. les exceptions de procédure qui permettent de contester la régularité de la demande (CPC art. 73 s.) ;
  2. les fins de non-recevoir qui permettent de contester la recevabilité de l’action du demandeur (CPC art. 122) ;
  3. les défenses au fond qui permettent de contester le bien-fondé de la prétention du demandeur (CPC art. 71).

Il faut néanmoins également ajouter :

  1. La caducité qui permet de constater la caducité d’un acte
  2. La péremption qui permet de constater la péremption d’une procédure

Les ordres d’énonciation des moyens de défense dans les mêmes conclusions

  1. In limine litis, l’incident d’instance : la péremption. la péremption doit être invoquée avant tout autre moyen ;
  2. In limine litis, les exceptions de procédure soulevées simultanément SAUF exceptions de nullité pour irrégularités de fond. les exceptions de procédure doivent être soulevées in limine litis et simultanément avant toute défense au fond et fin de non-recevoir ;
  3. Exception de nullité pour irrégularité de fond (qui reste une exception de procédure)
  4. les incidents de nature à mettre fin à l’instance ;
  5. les fins de non-recevoir
  6. Caducité
  7. Arguments au fond à tribunal, demande mal-fondée ou bien fondée après examen au fond

Les exceptions de procédure : demande irrégulière

Constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours (CPC art. 73).

Voici la liste des exceptions de procédure :

  1. les exceptions d’incompétence ;
  2. les exceptions de litispendance et de connexité ;
  3. les exceptions dilatoires ;
  4. les exceptions de nullité des actes de procédure
    • Nullité pour vice de forme : on se place du côté du destinataire de l’acte de procédure pour apprécier si l’irrégularité lui a causé un grief 
      • Nullités de l’acte d’huissier (art 648 cpc)
    • Nullité pour vice de fond : on examine l’auteur de l’acte ou son représentant et l’on vérifie s’il avait la capacité et le pouvoir d’accomplir l’acte de procédure.

Les fins de non-recevoir : prétention irrecevable

Constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir. (CPC art. 122).

La liste non limitative des fins de non recevoir est :

  1. le défaut de qualité,
  2. le défaut d’intérêt,
  3. la prescription,
  4. le délai préfix,
  5. la chose jugée
  6. Défaut d’indication des informations essentielles des concluants en appel (article 961 CPC) [pas vraiment régularisable si délai d’appel pour conclure expiré]

Le mot « demande » ne doit pas être pris dans un sens étroit. L’argument de fin de non-recevoir bénéficie aussi au demandeur confronté à une demande incidente.

Une fin de non-recevoir permet donc de contester la recevabilité de l’action du demandeur et a pour effet de le priver de l’accès au juge puisque sa demande, déclarée irrecevable, ne sera pas examinée.

La liste de l’article 122 du CPC n’est pas limitative (Cass. ch. mixte 14-2-2003 n° 00-19.423 : RJDA 5/03 n° 556).

Quelles différences entre fins de non-recevoir ou exceptions de procédure

Les fins de non-recevoir doivent également être distinguées des exceptions de procédure et principalement des nullités des actes de procédure pour vice de forme ou de fond qui ne touchent pas au droit d’action mais portent sur la validité d’un acte. 

Il reste que certains textes prévoient que l’omission de mentions dans un acte, qui s’apparente à un vice de forme, est une cause d’irrecevabilité de l’acte

Ce que j’en pense en tant que praticien

En vérité, de mon expérience, mêmes les juges s’emmelent les pinceaux et qualifient tour à tour les mêmes faits soit de fins de non recevoir soit d’exceptions de nullité. Tout comme en son temps pour la distinction entre preuve déloyale et preuve illicite, la distinction fin de non recevoir et exception de nullité est peu claire, vaseuse et source de grandes confusions pour les justiciables mais également pour les juges eux mêmes qui se voient forcés par le législateur de trancher des litiges avec des outils bancals. J’appelle à une réforme des moyens de défense qui sont d’autant plus importants aujourd’hui avec l’essor des pouvoirs du juge de la mise en état. Il est temps de fusionner les fins de non recevoir avec les exceptions de nullité des actes de procédure.

Pourquoi cette confusion dans la jurisprudence ?

Les règles du code de procédure civile relatives aux exceptions de nullité pour vice de forme sont contraignantes : si une exception de nullité pour vice de forme est soulevée après l’ouverture du débat au fond, alors, aux termes de l’article 112, l’irrégularité est couverte. Mais cette logique est parfois jugée indésirable, le législateur ne souhaitant pas que celui qui ait commis l’irrégularité s’en sorte indemne. Aussi, pour l’écarter, le législateur et le juge ont-ils recours à un artifice : au lieu d’être un vice de forme qui affecte l’acte, l’irrégularité sera qualifiée de défaut d’action en justice, opposable par conséquent sans grief et en tout état de cause au moyen d’une fin de nonrecevoir.

Exemples de confusion par la Cour de Cassation

De nombreux exemples de la proximité des problèmes posés par le défaut d’action et le défaut de capacité ou de pouvoir pourraient être cités (V. Civ. 2e, 15 juin 2017, no 16-15.668 , RTD civ. 2017. 726, obs. N. Cayrol )

Que faire par exemple lorsqu’une procédure est engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique (par exemple société en formation) ?

  • S’agit-il d’une irrégularité de fond que l’on dénoncera au moyen d’une exception de nullité pour vice de fond ? Oui, selon la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, au visa des articles 32 et 117 du code de procédure civile : « L’irrégularité d’une procédure engagée par une partie dépourvue de personnalité juridique est une irrégularité de fond qui ne peut faire l’objet d’une régularisation » (Civ. 2e, 11 sept. 2003, no 01-14.493 , Bull. civ. II, no 253 ; D. 2003. 2543 , et les obs. ; RTD civ. 2004. 766, obs. Ph. Théry . – Civ. 2e, 27 sept. 2012, no 11-22.278 , Rev. sociétés 2013. 30, obs. S. Prévost ).
  • S’agit-il au contraire d’un cas d’irrecevabilité des prétentions qu’il faudra relever au moyen d’une fin de nonrecevoir ? Oui aussi, selon la chambre commerciale de la Cour de cassation, au visa des articles 32 et 126 : « Est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir ; cette situation n’est pas susceptible d’être régularisée lorsque la prétention est émise par ou contre une personne dépourvue de personnalité juridique » (Com. 20 juin 2006, no 03-15.957 , Bull. civ. IV, no 146 ; D. 2006. 1820, obs. A. Lienhard  ; Dr. et pr. 2006, no 5, p. 299 ; Rev. sociétés 2007. 65, note J.-F. Barbièri . – Civ. 2e, 20 mars 1989, no 88-11.585 , Bull. civ. II, no 76 ; RTD com. 1990. 601, obs. E. Alfandari et M. Jeantin ).

Exemples

  • Constitue une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence, le moyen tiré de l’immunité de juridiction, car, dans ce cas, l’interdiction faite au juge de connaître du litige n’est pas une question de compétence de ce juge mais une question de pouvoir juridictionnel (Cass. 1e civ. 15-4-1986 n° 84-13.422 : Bull. civ. I n° 87).
  • Constitue également une fin de non-recevoir et non une exception d’incompétence le défaut de pouvoir du juge de l’exécution pour statuer sur la responsabilité d’un notaire (Cass. 2e civ. 8-1-2015 n° 13-21.004 : Bull. civ. II n° 3) ou sur une demande de condamnation à des dommages-intérêts contre le créancier saisissant, qui n’est pas fondée sur l’exécution ou l’inexécution dommageable de la mesure, le juge ne disposant pas du pouvoir juridictionnel de statuer sur celle-ci (Cass. 2e civ. 15-4-2021 n° 19-20.281 F-P).
  • Le défaut de saisine régulière d’un tribunal ne constitue pas un vice de forme, mais une fin de non-recevoir (Cass. 2e civ. 6-1-2011 n° 09-72.506 : Bull. civ. II n° 5 ; Cass. 2e civ. 1-6-2017 n° 16-15.568 F-PB). En revanche, affectant le contenu de l’acte de saisine de la juridiction et non le mode de saisine de celle-ci, l’irrégularité des mentions de la déclaration de saisine de la juridiction de renvoi après cassation ne constitue pas une cause d’irrecevabilité de celle-ci, mais relève des nullités pour vice de forme (Cass. 2e civ. 19-10-2017 n° 16-11.266 F-PB).

Les différences d’effets : Comparaison des régimes juridiques de l’exception de nullité pour vice de fond et fin de non-recevoir

Fin de non-recevoirException de procédure
PrescriptionPas d’interruption de la prescriptionInterruption de la prescription
Moment de la présentationEn tout état de cause (art 123) et pour la première fois en appelA peine d’irrecevabilité, être soulevées simultanément et in limine litis, cad avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (CPC art. 74, al. 1). La nullité pour vice de forme pourra même être couverte (art. 112 cpc)
SAUF :
l’exception de connexité : à tout moment
l’exception de nullité pour vices de fond : à tout moment mais devant le JME
RégularisationRégularisable jusqu’au moment où le juge statue (CPC art. 126).Au cas par cas : parfois couvrable, parfois non (CPC art. 121). Généralement couvrable
Nécessité d’un griefNon (CPC art. 124)Exception de nullité de fond : pas de grief (119 cpc)
Exception de ullité de forme : grief
Les autres exceptions : non pertinent puisque doivent être justifiées (incompétence, sursis, etc.)
Nécessité d’une disposition expresseNon
Exception de nullité de fond : pas de grief
Exception de ullité de forme : grief
Juge compétentJME (CPC art. 789) ou fond si pas de JMEJME (CPC art. 789) ou fond si pas de JME

La vraie différence est finalement que la fin de non recevoir n’interromp pas la prescription : c’est ce qui est mortel dans les procédures avec délais comme la saisine du juge des loyers et son délai d’un mois (Civ. 3e, 8 févr. 2024, no 22-22.301) ou la procédure d’appel. Pour les procédures sans date butoir (type procédure écrite au fond ordinaire TJ), la différence a peu d’importance si ce n’est de vérifier le moment de présentation (in limine litis ou non).

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