Vous souhaitez intenter une action 145 mais vous vous demandez quel juge saisir ?
Cette question implique de répondre au juge territorialement compétent puis au juge matériellement compétent.
Compétence territoriale
Le juge territorialement compétent pour connaître des mesures 145 est le président du tribunal compétent pour connaître de l’instance au fond ou celui du tribunal dans le ressort duquel les mesures d’instruction in futurum sollicitées doivent, même partiellement, être exécutées (Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-21.012, F-P+B+I . – CA Douai, 25 janv. 2024, n° 23/02432).
Option de compétence
Le demandeur à la mesure d’instruction sollicitée en vertu de l’article 145 du Code de procédure civile dispose d’une option de compétence entre
- d’une part, le président du tribunal susceptible de connaître de l’instance au fond
- et, d’autre part, celui du tribunal dans le ressort duquel l’une des mesures d’ instruction doit être exécutée
Cass. 2e civ., 15 oct. 2015, n° 14-17.564 . – Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-21.012, P : – Comp. auparavant Cass. com., 14 févr. 2012, n° 10-25.665 , qui indiquait que le président n’était compétent pour ordonner des mesures d’ instruction sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile qu’à la double condition que l’une d’entre elles doive être exécutée dans le ressort de ce tribunal et que celui-ci soit compétent pour connaître de l’éventuelle instance au fond).
La Cour de cassation semble toutefois exiger, pour justifier de la compétence du tribunal du lieu de l’exécution de l’une des mesures d’ instruction , que cette mesure ait réellement à être exécutée dans son ressort, de manière à ce que le demandeur ne puisse ajouter un chef de mission lui permettant de choisir à loisir la juridiction de son choix ( Cass. 2e civ., 2 juill. 2020, n° 19-21.012, B :).
Absence d’effet de la clause attributive de compétence territoriale
L’existence d’une clause attributive de compétence territoriale ne peut faire échec à l’option de compétence offerte au demandeur ( Cass. com., 13 sept. 2017, n° 16-12.196, P : . – Cass. 2e civ., 22 oct. 2020, n° 19-14.849, P ).
Compétence exclusive des juridictions spécialisées
Cette option de compétence se heurte toutefois à la compétence exclusive de certaines juridictions pour statuer dans certaines matières, le président d’un tribunal non spécialement désigné ne pouvant ordonner, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile , des mesures s’inscrivant dans le cadre d’un potentiel litige lié à des pratiques restrictives de concurrence ( Cass. com., 17 janv. 2018, n° 17-10.360 : JurisData n° 2018-000299 ; Bull. civ. IV, n° 2 ; D. 2019, p. 157, obs. Bretzner et Aynès ; D. 2018, Actu., p. 116 ; Gaz. Pal. 15 mai 2018, p. 73 , obs. Hosffshir). Cette interdiction ne semble toutefois pas s’appliquer si la requête et l’ordonnance qui y fait droit ne visent que l’article 145 du Code de procédure civile , à l’exclusion de tout texte renvoyant à la compétence d’une juridiction spécialement désignée ( Cass. com., 14 oct. 2020, n° 18-23.672 :).
Compétence d’attribution/matérielle
Le juge matériellement compétent pour connaître des mesures 145 est le président du tribunal matériellement compétent pour connaître du litige envisagé au fond (Cass. 2e civ., 20 mars 2014, n° 12-29.913, P+B – Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, n° 16-19.825).
Détermination de la compétence d’attribution en fonction du litige ultérieur
En matière de mesures d’ instruction in futurum, le juge matériellement compétent est le président de la juridiction qui serait compétente pour connaître du fond du litige éventuel. Ainsi, le président du tribunal de grande instance n’est pas compétent pour statuer sur requête alors que le litige en vue duquel la mesure est requise relève du tribunal de commerce (Cass. 2e civ., 20 mars 2014, n° 12-29.913, P).
Toutefois, lorsque deux juridictions matériellement distinctes pourraient être compétentes au fond, le juge des requêtes peut ordonner une mesure d’ instruction avant tout procès dès lors que le fond du litige est de nature à relever, ne serait-ce qu’en partie, de la compétence de la juridiction à laquelle il appartient ( Cass. 2e civ., 7 juin 2012, n° 11-15.490, P)
Ainsi, est validée l’ordonnance rendue par le TCOM au profit d’une société commerciael (et employeur) contre une société commerciale et des personnes physiques non commerçantes salariées ou anciennes salariées du requérant dès lors que “le juge des requêtes peut ordonner une mesure d’instruction avant tout procès, dès lors que le fond du litige est de nature à relever, ne serait-ce qu’en partie, de la compétence de la juridiction à laquelle il appartient et que la société Dermosciences soutenait devant elle que l’action en concurrence déloyale à l’encontre de la société SRS relevait matériellement de la compétence du tribunal de commerce comme opposant deux sociétés commerciales, la cour d’appel a statué par un motif inopérant et violé les textes susvisés ” Cour de cassation, 2e chambre civile, 28 Septembre 2017 – n° 16-19.027
En revanche, dès lors que le litige en germe en vue duquel la mesure est sollicitée implique la compétence exclusive d’une juridiction, seul le président de cette dernière est compétent pour ordonner une mesure d’ instruction avant tout procès ( Cass. com., 20 nov. 2012, n° 11-23.216, P : JurisData n° 2012-026530 ; Comm. com. électr. 2013, comm. 24 , note Ch. Caron).
La Cour de cassation semble pousser les juges du fond à pratiquer une analyse in concreto des demandes qui lui sont soumises et de l’action au fond qui pourrait être engagée : quand bien même la requête évoque l’existence d’un brevet, le demandeur à la rétractation ne peut se fonder sur cette circonstance pour arguer de l’incompétence du président du tribunal de commerce à ordonner une mesure d’ instruction , puisque l’action au fond envisagée n’était pas relative à des droits de brevet ( Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-25.340, P : ).