Le classement sans suite
Au tout début de la procédure, lorsque le procureur détermine qu’il n’y a pas assez d’éléments pour engager une poursuite judiciaire, il fait un classement sans suite. 73,75 % des affaires traitées en 2016 ont été classées sans suite.
Innocence, culpabilité, coupable
L’innocence n’est pas une notion juridique : elle n’existe pas en droit français qui ne connait que la présomption d’innocence et la culpabilité. On est coupable ou non-coupable, et on est non-coupable parce qu’on n’a rien fait ou parce qu’il n’y a pas de preuve qu’on a fait quelque chose.
A priori, on est innocent. C’est le sens de la présomption d’innocence. Avant même toute décision d’un juge, tout justiciable est déjà innocent. Il n’a en effet jamais cessé de l’être. Un auteur présumé est innocent jusqu’à ce qu’un tribunal le condamne définitivement. En droit, on est innocent jusqu’à la condamnation définitive prononcée par un juge. La présomption d’innocence est garantie par l’article 9 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et depuis 2000 à l’article préliminaire du code de procédure pénale. Ce principe est un pilier fondamental de toute société démocratique, empêchant toute dérive arbitraire d’une accusation qui vaudrait condamnation.
Aucune juridiction, qu’elle soit française ou américaine, ne rend un verdict d’innocence. Ce serait un non-sens que de déclarer ce qui est déjà. Un jury américain rend un verdict disant coupable (guilty) ou non-coupable (not guilty). Un jury français vote qu’en son âme et conscience, sa réponse est “oui” ou “non” à la question de savoir si X… est coupable d’avoir… (art. 357 du code de procédure pénale, CPP). Il ne vote pas pour savoir si X… est innocent ou s’il y a juste trop de doute. Que l’innocence ait été établie par les débats ou que le jury ait eu un doute, voire que le jury ait voté contre l’évidence, cela revient rigoureusement au même : au dépouillement, il y avait au moins cinq non sur les douze bulletins : on acquitte.
La pratique du droit pénal repousse rapidement les vérités binaires simples. Plutôt que la Vérité, on se contente des certitudes, le pluriel prend tout son sens, et on apprend à vivre avec leur absence.
La mise en examen
La mise en examen, qui s’appelait jusqu’en 1993 “l’inculpation” (le terme inculper était jugé trop infamant, et assimilé à la culpabilité), est décidée par le juge d’instruction dans le cadre d’une instruction préparatoire lorsque’il existe à l’encontre de la personne des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu’elles aient pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d’instruction est saisi. (article 80-1 CPP)
PAS est coupable, la question de la culpabilité relève du seul tribunal : un mis en examen est présumé innocent, même quand il est finalement renvoyé en correctionnelle.
La mise en examen ça n’est pas la condamnation, ça ne veut pas dire qu’il est coupable. La mise en examen en France, cela veut dire qu’il se trouve dans le dossier des charges contre un justiciable. C’est simple un homme contre lequel il existe des charges. Mais seulement des charges, les charges ça se combat, la Défense est là pour ça.
Le justiciable est encore présumé innocent.
Surtout, la mise en examen a une fonction essentielle : elle déclenche les droits de la Défense : le mis en examen peut désormais accéder au dossier et se défendre contre les charges.
Mettre en examen ce n’est pas seulement désigner du droit mais permettre au mis en examen grâce à l’avocat d’avoir accès au dossier et de préparer sa défense en présence de charges.
Quelles sont les suites de la mise en examen :
- 20 % des personnes mises en examen dans des affaires conclues en 2016 ont bénéficié d’un non-lieu.
- Les 80 % restants ont été renvoyés devant des tribunaux. En 2016,
- 22 013 personnes mises en examen (67 %) ont été renvoyées au tribunal correctionnel, où « le taux de relaxe pour les personnes jugées en audience est de 6,4 % », comme le précise le ministère de la justice.
- 2 300 (7 %) ont été mises en accusation devant la cour d’assises, qui avait un taux d’acquittement de 5,2 % en 2015.
Autrement dit, si vous êtes mis en examen dans une affaire correctionnelle, vous avez 74,88 % de risque d’être condamné par le tribunal.
Le témoin assisté
S’il n’existe pas des indices graves ou concordants que la personne a commis les faits, elle ne peut pas être mise en examen, le seul statut possible (outre tiers à la procédure), est témoin assisté.
Les conséquences sont les suivantes : le témoin assisté ne peut faire l’objet de la moindre mesure coercitive : pas de contrôle judiciaire et encore moins de détention provisoire, ce qui fait que beaucoup d’avocat affectionnent ce statut sans risque. Ce n’est pas mon cas, je trouve que c’est un marché de dupes. Car le témoin assisté a moins de droits que le mis en examen, et je préfère exercer la plénitude des droits de la défense, d’autant que le statut de témoin assisté est une protection relative, puisqu’il peut être élevé à la dignité de mis en examen à tout moment, du moment que le juge estime que les indices sont désormais graves ou concordants(il fallait autrefois qu’ils soient graves ET concordants maintenant c’est alternatif avec “ou”). En outre, le témoin assisté peut à tout moment demander à être upgradé au statut de mis en examen, pour pouvoir exercer ces droits.
Instruction judiciaire/instruction préparatoire
Une instruction judiciaire est une enquête confiée à un juge enquêteur, le juge d’instruction, qui peut être saisi soit par le parquet, cas le plus fréquent, soit par un plaignant se prétendant victime d’une infraction. Alors que dans le Code d’instruction criminelle, ancêtre de notre Code de procédure pénale actuel, le juge d’instruction était systématiquement saisi pour tous dossier délictuel ou criminel (c’est encore le cas en droit monégasque), il a en France reculé progressivement au profit des enquêtes de police menée sous la direction du parquet, au point qu’il ne traite plus qu’environ 5% des dossiers pénaux, ce qui a fait germer dans l’idée d’un ancien président de la République dont le nom m’échappe de le supprimer purement et simplement. Ce chiffre de 5% est trompeur car il s’agit des 5% les plus graves ou les plus complexes, la loi prévoyant qu’en cas de crime (comme le meurtre, le viol ou le vol à main armée), l’instruction est obligatoire.
Le juge d’instruction instruit (ou informe, ces deux termes sont synonymes) à charge ou à décharge selon l’expression célèbre, c’est-à-dire qu’il doit rechercher la vérité sans se soucier si son acte d’enquête aura pour résultat probable d’incriminer ou au contraire de disculper telle personne. Il n’est pas un accusateur public et ne doit pas enfoncer à tout prix la personne visée par son instruction. Cela ne lui interdit pas de rechercher des preuves de la culpabilité. L’argument que “le juge instruit uniquement à charge” se trouve en bonne place dans la rhétorique creuse des avocats aux abois, à côté de “le dossier est vide”.
Juge d’instruction
Le juge d’instruction ne “reproche” pas quoi que ce soit à qui ce soit, il cherche à établir des faits, il ne fait pas la morale.
Réquisitoire introductif
Une instruction commence par un réquisitoire introductif, qui vise les faits sur lesquels le juge d’instruction doit enquêter. Il peut viser le nom du suspect, mais ce nom ne lie pas le juge. On dit qu’il est saisi in rem, c’est à dire des faits, et non in personam. Le juge peut mettre en cause toute personne mêlée aux faits, par contre il ne peut en aucun cas enquêter sur des faits dont il n’est pas saisi, à peine de nullité.
Un réquisitoire introductif est l’acte le moins solennel qui se puisse imaginer. Il est généralement fait sur un formulaire complété à la main, seul le sceau du parquet lui revêtant un peu de cachet (rires dans la salle). Sa formulation est la suivante :
“Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Framboisy, vu les pièces jointes (brève énumération manuscrite des pièces, par ex : Procédure 2013/42 de la Brigade Territoriale de Moulinsart), Attendu qu’il en résulte contre Albert Primus (ou contre Inconnu, ou contre X si le suspect n’a pas encore été identifié), des indices laissant présumer qu’il (elle) a (ont) participé aux faits suivants : viol sur la personne de Cunégonde Secundus, faits commis à Champignac le 10 septembre 2013, prévus et réprimés par les articles 222-22, 222-23, 222-44, 222-45, 222-47, 222-48 et 222-48-1 du code pénal ; vu l’article 80 du code de procédure pénale, requiert qu’il plaiseà madame le juge d’instruction informer par toute voie de droit (éventuellement : “et saisir le juge des libertés et de la détention aux fins de placement en détention provisoire”). Fait au parquet, le 10 octobre 2013, signé : le procureur de la république.
Si par la suite, le juge d’instruction découvre que ce n’est pas Primus le violeur mais Tercius, qui lui ressemble beaucoup, le juge d’instruction peut et doit le mettre en examen, sans demander la permission de qui que ce soit. S’il découvre que Primus a en outre violé Dulcinée Quartus, il ne peut instruire sur ce viol et doit transmettre les procès verbaux où ces faits apparaissent au procureur, qui seul peut décider des suites. Généralement, le procureur prendra un réquisitoire supplétif, demandant au même juge d’informer aussi sur ces faits nouveaux, mais il peut également ouvrir une enquête préliminaire, saisir un autre juge d’un réquisitoire introductif, ou classer sans suite. Mais une fois que le dossier est confié à un juge d’instruction, il échappe au parquet, ce qui est tout l’intérêt de l’instruction dans les dossiers sensibles, par exemple mettant en cause un ancien président et futur candidat à la succession de son successeur.
Article 175 et ordonnance de règlement
Vient un jour où le juge d’instruction estime avoir fait tout ce qui était nécessaire et possible de faire. Il en avise alors les parties (on parle “d’article 175”), à savoir : les mis en examen, les parties civiles (c’est à dire les plaignants qui ont souhaité participer à l’instruction) et le parquet ainsi qu’au témoin assisté même s’il n’est pas partie à l’instruction et est de facto à ce stade mis hors de cause. S’ouvre la phase de règlement, où les parties peuvent demander d’ultimes actes d’information, et peuvent (s’agissant du parquet, il doit) communiquer au juge ce qui leur paraît opportun comme suites à donner. Ces suites sont :
- Si l’information a établi des charges suffisantes qu’un crime a été commis par le mis en examen, sa mise en accusation devant la cour d’assises.
- Si l’information a établi des charges suffisantes qu’un délit a été commis par le mis en examen, son renvoi devant le tribunal correctionnel (ou le tribunal de police si c’est une simple contravention ,hypothèse rare).
- Si l’information n’a pas établi de charges suffisantes qu’une infraction a été commise, ou si elle a établi que les faits sont prescrits, ou amnistiés, ou que l’auteur est demeuré inconnu, ou est décédé, le juge dira qu’il n’y a pas lieu de continuer les poursuites : c’est le non lieu.
Non-lieu
Le non lieu est une décision qui ne s’applique, en droit pénal, qu’à une instruction judiciaire.
Le non-lieu, défini par l’article 177 du code de procédure pénale, est prononcé par un juge d’instruction. Après avoir mené une information judiciaire, une enquête sur les faits, il peut décider de renvoyer le mis en examen devant un tribunal ou de prononcer un non-lieu. Il opte pour le non-lieu s’il estime que
- les faits sur lesquels il enquête ne constituent pas une infraction,
- si l’auteur «est resté inconnu»,
- si l’auteur est jugé pénalement «irresponsable»
- ou s’il n’existe pas de charges suffisantes contre le mis en examen.
Le non lieu ne reconnait pas l’innocence. Il n’y a simplement pas assez d’éléments dans le dossier pour aller plus loin et condamner.
Si on retrouve un homme tué de plusieurs balles dans le dos, mais qu’on n’identifie jamais le tireur, il y aura un non lieu, ce qui ne veut pas dire que le meurtre n’a jamais eu lieu. D’ailleurs un non lieu ne fait pas obstacle à la réouverture des poursuites, à certaines conditions. Un acquittement ou une relaxe, si.
Relaxe
Relaxe prononcée par un juge après un procès devant un tribunal correctionnel, de police ou de proximité
Acquittement
acquittement, prononcé par un jury de cour d’assises.