Nul ne peut se constituer de titre à soi-même : itinéraire d’un mal entendu juridique

Le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre (ou de preuve) à soi-même, codifié à l’article 1363 du Code civil, s’applique exclusivement à la preuve des actes juridiques mais pas à celle des faits juridiques qui peut être apportée par tous moyens ( Cass. 3e civ. 3-3-2010 no 08-21.056 FS-PB : RJDA 7/10 no 808 ; Cass. com. 3-5-2012 no 11-14.959 F-D : RJDA 11/12 no 1027 ; Cass. com. 8-3-2017 no 15-15.825 F-D).

Même pour les faits juridiques, le juge apprécie souverainement la valeur probante des éléments produits (Cass. 2e civ. 13-2-2014 no 12-16.839 F-PB : Bull. civ. II no 41 ; Cass. 3e civ. 27-4-2017 no 16-15.958 FS-PBI : Bull. civ. III no 51).

Le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique tel qu’une livraison. Cass. com. 26-6-2024 n° 22-24.487 F-B

Leur mise en œuvre peut se révéler délicate au regard de la double distinction entre acte et fait juridique et entre admissibilité et valeur probante des éléments produits devant le juge.

Par exemple, jugé, en application du principe interdisant de se créer une preuve à soi-même, que

  • la preuve d’une créance d’un fournisseur sur son client ne peut pas résulter des seules factures établies par le premier sans que soient produits aux débats les bons de commande ou de livraison (Cass. com. 6-12-1994 no 93-12.309 D). En effet, dans ce cas, il ne s’agit pas de prouver l’existence de la livraison mais celle d’un contrat.
  • dans une affaire où le client d’un garagiste contestait être le propriétaire du véhicule réparé, il a été jugé que le client ne pouvait pas être condamné à payer la réparation sur la seule base de factures établies par le garagiste et de la comptabilité de celui-ci qui faisaient apparaître le versement d’acomptes par le client (Cass. 1e civ. 14-1-2003 no 00-22.894 F-P : RJDA 6/03 no 675 ; dans le même sens, dans un cas où le client contestait le montant de la facture, Cass. 2e civ. 23-9-2004 no 02-20.497 F-PB : Bull. civ. II no 414).

En revanche,

  • la preuve de la créance d’un grossiste sur un détaillant a été déduite de la production d’un décompte établi par le grossiste, des factures impayées et des mises en demeure adressées au détaillant, dès lors que ce dernier ne contestait pas la réalité des livraisons et n’avait émis aucune réserve lors de celles-ci (Cass. com. 16-12-2014 no 13-19.351 F-D). les juges du fond ont aussi tenu compte des pratiques habituellement suivies par les parties, qui confortaient la portée des documents produits

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