Les conditions pour prendre une mesure conservatoire

L’article L. 511-1 du CPCE dispose que « Toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur sans commandement préalable, si elle justifie de circonstances susceptibles d’en menacer le recouvrement. »

Sur le fondement de cette disposition, en l’absence de titre exécutoire, la mise en œuvre d’une saisie conservatoire suppose la réunion de deux conditions cumulatives :

  1. (i) l’existence d’une créance paraissant fondée en son principe ;
  2. (ii) une menace portant sur le recouvrement de ladite créance.

    Ces conditions s’appliquent à toutes les mesures conservatoires, que ce soit une saisie conservatoire ou une sureté judiciaire (hypothèque judiciaire provisoire, nantissement judiciaire)

    Une créance apparemment fondée en son principe

    Nature de la créance

    L’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution en disposant que toute personne dont la créance paraît fondée en son principe peut solliciter du juge l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur, consacre la jurisprudence antérieure qui avait décidé qu’il n’était pas nécessaire que le créancier dispose d’un titre, et qu’il devait seulement justifier d’une créance paraissant fondée en son principe ( Cass. 1re civ., 13 mai 1986 : D. 1986, p. 389, obs. J. Prévault ; Bull. civ. I, n° 129 ; RTD civ. 1987, p. 157 , obs. R. Perrot). La mesure conservatoire peut être demandée pour toutes sortes de créances qu’elles soient d’origine contractuelle, légale, quasi-contractuelle, délictuelle ou quasi-délictuelle, et peu importait également qu’elles soient civiles et commerciales.


    § 17 Charges de copropriété impayées pouvant faire l’objet d’une mesure conservatoire. La loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 ( L. n° 2024-322, 9 avr. 2024, art. 19 ) apporte une modification non négligeable de l’article L. 511-2 du Code des procédures civiles d’exécution. Peuvent ainsi faire procéder à des mesures conservatoires sans autorisation judiciaire préalable les créanciers ” des provisions mentionnées au premier alinéa de l’article 19-2 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, exigibles ou rendues exigibles dans les conditions prévues au même article 19-2 ” (V. L. Lauvergnat : La mesure conservatoire pour charges de copropriété impayées : la loi n° 2024-322 du 9 avril 2024 ou la gueule de bois du copropriétaire défaillant : Procédures 2024, alerte 12 ).


    § 18 Obligation de faire Aujourd’hui, et contrairement à la jurisprudence antérieure à la loi du 9 juillet 1991 , l’article L. 511-4 du Code des procédures civiles d’exécution dispose en effet qu’à peine de nullité de son ordonnance, le juge doit déterminer le montant des sommes pour la garantie desquelles la mesure conservatoire est autorisée, et précise la nature des biens sur lesquels elle porte. Seule une créance de somme d’argent, à l’exclusion de toute créance d’obligation de faire, permet de pratiquer une mesure conservatoire, et ce que la mesure soit une saisie conservatoire ou une sûreté judiciaire (CPC exéc., art. L. 531-1).

    Liquidité de la créance

    Il n’est pas nécessaire que la créance sur le fondement de laquelle la mesure est sollicitée soit liquide. Il faut, et il suffit, que le créancier sollicitant l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire justifie d’une créance qui ” paraît fondée en son principe “. La jurisprudence est constante sur ce point (Cass. com., 14 déc. 1999, n° 97-15.361 : JurisData n° 1999-004462 ; Bull. civ. IV, n° 228 . – Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, n° 01-13.439 : JurisData n° 2003-018765. – Cass. 2e civ., 7 juin 2018, n° 17-18.226).

    Exigibilité de la créance : absence d’exigence

    En vertu de l’article L. 511-1 du Code des procédures civiles d’exécution, tout créancier peut présenter requête au juge de l’exécution pour être autorisé à pratiquer une mesure conservatoire, dès lors qu’il se prévaut d’une créance paraissant fondée en son principe. Il n’est donc nullement exigé que la créance fondant la demande soit exigible.

    Créance à échéances multiples

    Quand cette créance est à échéance multiple, il ne serait pas nécessaire qu’elle soit totalement exigible ( CA Rennes, 1re ch., 24 nov. 1994 : Rev. huissiers 1995, p. 500 ; Bull. inf. C. cass. 1er mars 1995, p. 259 ).

    • Cependant, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait décidé qu’un avis à tiers détenteur devenu définitif avant le jugement d’ouverture ne produit effet que sur les seuls loyers échus avant le jugement ( Cass. com., 24 oct. 1995 : JCP G 1996, II, 22578, note E. Putman ; RTD civ. 1996, p. 483 , obs. R. Perrot).
    • Mais elle se trouve contredite par la seconde chambre civile qui semble avoir mis un terme au doute en décidant que la saisie-attribution d’une créance à exécution successive pratiquée avant le jugement d’ouverture d’une procédure collective poursuit ses effets sur les sommes échues en vertu de cette créance après ledit jugement ( Cass. 2e civ., 10 juill. 1996 : D. 1996, inf. rap. p. 188 ; RTD civ. 1996, p. 717 , obs. R. Perrot).
    • Il faut considérer la solution comme définitivement acquise depuis un arrêt de chambre mixte du 22 novembre 2002 (Cass. ch. mixte, 22 nov. 2002, n° 99-13.935 : ; . – Le créancier d’un débiteur en redressement judiciaire qui prend des mesures conservatoires sur les biens de la caution ; Rev. sociétés. 2016, comm. 398, obs. Ph. Roussel-Galle) devant introduire une action aux fins d’obtenir un titre exécutoire dans le mois des mesures peut donc agir avant que la créance contre la caution ne soit exigible (Cass. com., 1er mars 2016, n° 14-20.553 : JurisData n° 2016-003571 ; Act. proc. coll. 2016, n° 7, alerte 91, P. Cagnoli).

    Ficoba

    L’article L. 152-1 du Code des procédures civiles d’exécution modifié par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 autorise le commissaire de justice muni d’une décision de justice autorisant une saisie conservatoire sur compte bancaire à faire une recherche sur le FICOBA.

    Certitude de la créance

    Une créance apparente

    Il n’est pas non plus nécessaire que la créance soit certaine. L’expression “créance paraissant fondée en son principe ” signifie que celle-ci doit être suffisamment assurée pour que le juge du fond soit amené à la reconnaître (Weill et Maus : D. 1956, chron. p. 88). C’est ainsi que la Cour de cassation a pu admettre que l’ouverture d’une information pour fraude fiscale traduit ” par l’apparence de son existence le bien-fondé en son principe de la créance du ministère de l’économie et des finances ” ( Cass. com., 22 mai 1974 : Bull. civ. IV, n° 171 . – Cass. com., 10 nov. 1981 : Gaz. Pal. 1982, 1, pan. jurispr. p. 156 , note A. P.). Cette jurisprudence ancienne perdure et la Cour de cassation rappelle régulièrement l’absence de nécessité de la certitude de la créance. Il n’appartient donc pas au juge de statuer sur la réalité de la créance ou d’en fixer le montant mais d’apprécier seulement le caractère vraisemblable de la créance ” … il lui appartenait de rechercher l’existence, non pas d’un principe certain de créance mais seulement d’une créance paraissant fondée dans son principe … ” (Cass. 2e civ., 3 mars 2022, n° 21-19.298, F-D : JurisData n° 2022-003168 ; AJDI 2022, p. 371 ).
    Il est donc définitivement acquis qu’il entre dans les pouvoirs du juge de l’exécution d’apprécier si la créance est ou non apparemment fondée (Cass. 2e civ., 19 déc. 2002, n° 01-03.719 : JurisData n° 2002-017018 ; Bull. civ. II, n° 294 ; JCP G 2003, IV, 1292 ; RTD civ. 2003, p. 130 , obs. R. Perrot). Il exerce ce pouvoir même si le juge du fond saisi est un juge pénal (Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n° 01-17.713 : JurisData n° 2003-020984 ; Bull. civ. II, n° 350 ; D. 2003, p. 3010 ; JCP G 2004, IV, 1068 ; RTD civ. 2004, p. 143 , obs. R. Perrot). De cette distinction fondamentale entre l’office du juge de l’exécution et celui du juge du fond, on tire comme conséquence que la décision du juge de l’exécution à caractère provisoire, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence (Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n° 01-17.713, préc.).

    § 22 Créance conditionnelle
    Une créance sous condition suspensive ou même simplement éventuelle peut justifier l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire ( Cass. com., 21 oct. 1964 : Gaz. Pal. 1964, 2, p. 422 ; RTD civ. 1965, p. 431 , obs. Raynaud). Cette jurisprudence s’applique toujours sous l’empire du droit actuel (CA Paris, 21 janv. 2010, n° 09/07583 : JurisData n° 2010-004357). Cependant, le juge doit user avec prudence des pouvoirs qui lui sont accordés, et s’assurer que la créance invoquée présente une consistance suffisante. En effet, une créance conditionnelle ne peut apparaître fondée en son principe que si la condition ne se transforme pas en aléa. C’est ainsi par exemple que ne saurait être autorisée la prétendue victime d’une lésion ” aléatoire ” à pratiquer une saisie conservatoire alors surtout que le défendeur avait fait une offre de garantie hypothécaire ( TGI Belfort, 15 juin 1960 : JCP G 1960, II, 11707 ; RTD civ. 1960, p. 726 . obs. Raynaud).

    § 23 Appréciation souveraine du juge du fond
    La jurisprudence est constante pour considérer que le point de savoir si une créance est fondée en son principe dépend de l’appréciation souveraine des juges du fond ( Cass. 3e civ., 28 avr. 1971 : Bull. civ. III, n° 266 ; JCP G 1971, IV, 5983 , Cass. 2e civ., 29 janv. 2004 : Bull. civ. II, n° 35 ). Le juge apprécie souverainement la probabilité de la créance prouvée par tout moyen. Le juge peut être amené à se pencher sur une question de fond (mais il ne peut la trancher sans excéder ses pouvoirs) pour se prononcer sur le point de savoir si la créance est fondée en son principe (COJ, art. L. 213-6, al. 1er. – Cass. 2e civ., 20 nov. 2003, n° 01-17.713 : JurisData n° 2003-020984 ; Bull. civ. II, n° 350 ; Procédures 2004, comm. 24 , R. Perrot ; RTD civ. 2004, p. 143 , R. Perrot ; Dr. et proc. 2004, p. 155 , A. Leborgne).
    La Cour de cassation rappelle régulièrement que les juges du fond apprécient souverainement l’apparence de certitude de la créance (Cass. 2e civ., 3 sept. 2015, n° 14-22.182 : Procédures 2015, comm. 324, L. Raschel. – Cass. 1re civ., 6 oct. 2021, n° 20-14.288, inédit).

    § 24 Jurisprudence discutable
    Dans la mesure où il s’agit d’un contentieux de l’apparence, la jurisprudence qui se refuse à permettre des mesures conservatoires pour une prestation compensatoire sur laquelle le JAF ne s’est pas prononcé ( CA Paris, 1er févr. 2001 : Rev. huissiers 2001, p. 178 , obs. Hoonakker), paraît critiquable. Certes, la Cour de cassation dans un avis du 9 février 1998 ( Procédures 1998, comm. 143 , obs. H. Croze) a énoncé que l’assignation en divorce n’ouvre pas une procédure permettant de conforter une saisie conservatoire, mais c’est l’objet de l’assignation qui dans cette décision était en cause. Le demandeur avait obtenu une autorisation du juge de l’exécution de pratiquer la mesure conservatoire. La procédure a été jugée caduque et non illégale. Ce n’est pas l’autorisation qui a été contestée dans l’avis, mais le mode de saisine du juge du fond.
    D’ailleurs, la Cour de cassation a jugé qu’une assignation en divorce contenant une demande de révocation d’une donation valait assignation au fond ( Cass. 1re civ., 4 mars 1999 : Procédures 1999, comm. 182 , obs. R. Perrot). La créance de prestation compensatoire suit de ce point de vue un régime de droit commun. Le jugement de divorce condamnant à une prestation compensatoire, non encore exécutoire, permet la prise de mesure conservatoire (Cass. 2e civ., 17 oct. 2002, n° 01-00.495 : JurisData n° 2002-015882 ; Bull. civ. II, n° 230 ; RTD civ. 2003, p. 70 , obs. J. Hauser ; Defrénois 2003, p. 123 , obs. J. Massip ; JCP G 2002, IV, 2897).
    On sera également réservé sur la jurisprudence interdisant au juge de l’exécution de rechercher et d’apprécier l’éventuelle faute d’une société mère à l’égard de sa filiale ( CA Amiens, 18 nov. 1997 : Gaz. Pal. 1998, 1, p. 140 , note T. Moussa). Le juge de l’exécution a le devoir de déterminer s’il y a une apparence de créance et donc ici de faute. La motivation est révélatrice de la position de certains juges de l’exécution. Face à une compétence propre à certaines juridictions (et not. le JAF : V. CA Paris, 1er févr. 2001 , préc.), les juges ne se sentent pas en droit de relever ce qui est encore perçu souvent comme un principe certain de créance. Cette position n’est pas défendable pour deux raisons. La première est qu’ils n’ont pas à statuer sur une certitude, mais sur une apparence. La seconde est que l’on a précisément créé le juge de l’exécution à cette fin , et que donc, ils ne vont pas sur les brisées d’autres juges même exclusivement compétents. Le contentieux plus récent confirme ces pouvoirs du juge de l’exécution, c’est ainsi qu’il a pu être décidé que ” si le débiteur, poursuivi comme caution, conteste son engagement comme étant disproportionné, le juge doit trancher cette question de droit afin d’effectivement apprécier l’existence d’un principe de créance, condition essentielle en matière d’autorisation de mesures conservatoires ” (Ch. Laporte, Procédures 2021, comm. 63, Saisie conservatoire – Office du juge).

    Exemples

    L’apparence d’un principe de créance peut résulter :

    • • – d’une sentence arbitrale (CA Paris, 8 janv. 2015, n° 13/10871 : JurisData n° 2015-003927 . – Cass. 1re civ., 13 sept. 2017, n° 16-16.468, inédit : JurisData n° 2017-018513) ;
    • • – d’une créance de restitution de prix suite à l’annulation d’arrêté de préemption (Cass. 1re civ., 31 oct. 2012, n° 11-15.621 : JurisData n° 2012-024420) ;
    • • – d’un contrat à condition qu’il ait été valablement formé ce qui n’est pas le cas en l’absence de preuve du consentement ( CA Rouen, 8 déc. 2011, n° 11/01807 : JurisData n° 2011-031492) ;
    • • – de faits matériels relevés par des procès-verbaux de douanes (Cass. com., 27 juin 2000, n° 98-15.911 : JurisData n° 2000-002714) ;
    • • – d’une reconnaissance de dette, même irrégulière au regard de l’article 1326 du Code civil (Cass. com. 21 juin 1995, n° 93-16.047 : JurisData n° 1995-002201) ;
    • • – des conclusions d’un rapport d’expertise judiciaire (Cass. 2e civ., 25 oct. 1995, n° 93-15.458 : JurisData n° 1995-003100) ;
    • de l’existence de surestaries en matière d’affrètement (Cass. com., 11 juin 1996, n° 94-14.922 : JurisData n° 1996-002657) ;
    • du dépôt de plainte avec constitution de partie civile d’une société victime d’un détournement (Cass. 2e civ., 12 déc. 1984, n° 83-13.660 : JurisData n° 1984-701960) ;
    • un projet d’état liquidatif d’un régime matrimonial (Cass. 1re civ., 6 oct. 2021, n° 20-14.288 : AJ fam. 2021, p. 690 , note J. Casey).

    Résumé

    La créance doit être fondée en son principe[1], c’est-à-dire qu’elle n’a pas à être ni liquide, ni exigible, ni certaine.

    Ainsi,

    • une créance sous condition suspensive ou même simplement « éventuelle »[2] peut justifier l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire[3] ;
    • une mesure conservatoire peut être obtenue pour un terme non échu[4] et pour une « créance en germe »[5]
    • le juge doit « rechercher l’existence non pas d’un principe certain de créance mais seulement d’une créance paraissant fondée en son principe »[6]

    Plus récemment, un arrêt de la 2e chambre civile du 15 décembre 2009[7] a censuré une décision des juges du fond qui avait ordonné la mainlevée d’une saisie conservatoire au motif que le requérant n’apportait pas une « créance fondée en son principe » alors qu’une simple « apparence de créance » était requise par l’article 511-1 CPCE.


    [1] Cass. com., 14 déc. 1999, n° 97-15.361 : JurisData n° 1999-004462 ; Bull. civ. IV, n° 228. – Cass. 3e civ., 24 avr. 2003, n° 01-13.439 : JurisData n° 2003-018765 

    [2] Dijon, 22 déc. 1959, cité par le Dalloz Action « Droit et Pratique des voies d’exécution »

    [3] (Cass. com., 21 oct. 1964 : Gaz. Pal. 1964, 2, p. 422 ; RTD civ. 1965, p. 431, obs. Raynaud).

    [4] Cour de cassation, Chambre civile 3, 19 Avril 1977 – n° 75-14.236

    [5] Cour d’appel, GRENOBLE, Chambres civiles 1 et 2 réunies, 23 Janvier 1990 – Numéro JurisData : 1990-040340

    [6] Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 2 février 1999, 96-16.718, Publié au bulletin

    [7] Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 15 décembre 2009, 08-19.432, Inédit

    Le péril sur le recouvrement

    (en cours de rédaction)

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