Comment suspendre l’exécution provisoire d’une décision/ordonnance du juge de l’exécution ? Par la saisine du premier président !
S’il est vrai que l’appel formé contre les décisions du juge de l’exécution ne comporte aucun effet suspensif, il est prévu que la décision attaquée peut faire l’objet d’un sursis à exécution ordonnée par le premier président si l’appel semble fondé sur des moyens sérieux (CPC ex., art. R. 121-22).
Malgré des enjeux parfois considérables, le contentieux de l’exécution est un contentieux qui n’attend pas. Il n’est, en effet, pas raisonnable de laisser trop longtemps figer une situation qui est souvent préjudiciable à la fois au créancier – qui tarde à être payé – et au débiteur – qui espère la mainlevée de la mesure.
Voilà pourquoi, le Code des procédures civiles d’exécution donne à ce contentieux la souplesse d’une procédure orale (CPC exéc., art. R. 121-8).
Voilà aussi pourquoi le délai d’appel n’est que de 15 jours et que ce délai comme l’appel lui-même n’ont aucun effet suspensif (CPC exéc., art. R. 121-21).
Cela dit, le remède est parfois pire que le mal et l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution prévoit donc, qu’en cas d’appel, un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution puisse être demandé au Premier président.
La demande de sursis peut-elle être formée quelle que soit la décision du juge de l’exécution ?
Rappel du fondement judirique
Article R121-22 CPCE
“En cas d’appel, un sursis à l’exécution des décisions prises par le juge de l’exécution peut être demandé au premier président de la cour d’appel. La demande est formée par assignation en référé délivrée à la partie adverse et dénoncée, s’il y a lieu, au tiers entre les mains de qui la saisie a été pratiquée.
Jusqu’au jour du prononcé de l’ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.
Le sursis à exécution n’est accordé que s’il existe des moyens sérieux d’annulation ou de réformation de la décision déférée à la cour.
L’auteur d’une demande de sursis à exécution manifestement abusive peut être condamné par le premier président à une amende civile d’un montant maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui pourraient être réclamés.
La décision du premier président n’est pas susceptible de pourvoi.”
Le sursis à l’exécution des décisions dépourvues d’effet suspensif (non)
La Cour de cassation exclut le sursis à exécution pour « les décisions du juge de l’exécution […] qui, dans les rapports entre créanciers et débiteurs, statuent sur les demandes dépourvues d’effet suspensif, à moins qu’elles n’ordonnent la mainlevée d’une mesure » (Cass. 2e civ., 18 déc. 1996, n° 95-12.602).
Échappent ainsi à un éventuel sursis à exécution les décisions prononçant :
- un délai de grâce (Cass. 2e civ., 19 nov. 2020, n° 19-17.931, F-P + B + I)
- ou une astreinte (Cass. 2e civ., 10 févr. 2011, n° 10-14.424 ).
Le sursis à l’exécution d’une décision de mainlevée d’une mesure conservatoire (jurisprudence hésitante)
De 2013 à 2023
Rappelons l’alinéa 2 de l’Article R121-22 CPCE “Jusqu’au jour du prononcé de l’ordonnance par le premier président, la demande de sursis à exécution suspend les poursuites si la décision attaquée n’a pas remis en cause leur continuation ; elle proroge les effets attachés à la saisie et aux mesures conservatoires si la décision attaquée a ordonné la mainlevée de la mesure.“
Cass. 2e civ., 11 avr. 2013, n° 12-18.255, F-P+B“Les dispositions de l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution sur le sursis à exécution ne sont pas applicables aux ordonnances frappée d’appel qui ordonnent la mainlevée d’une mesure conservatoire.“
La deuxième chambre civile a ajouté une subtilité supplémentaire en affirmant que les dispositions de l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution sur le sursis à exécution n’étaient pas applicables aux ordonnances frappées d’appel qui ordonnent la mainlevée d’une mesure conservatoire autorisée par le juge de l’exécution (Cass. 2e civ., 11 avr. 2013, n° 12-18.255).
Cette distinction a de quoi surprendre puisqu’elle ne se fondait sur aucun texte précis et remettait en cause une position qui semblait avoir été admise par le passé (Cass. 2e civ., 7 juill. 2005, n° 03-15.469, P+B).
L’explication le plus souvent invoquée était que la décision de mainlevée – rendue contradictoirement devant le juge de l’exécution – devait primer sur l’autorisation de pratiquer une mesure conservatoire – rendue sur requête. Autrement dit, la raison serait dans la nature propre de la décision de mainlevée rendue après un débat contradictoire : dans la mesure où le sursis tend à assurer le maintien temporaire d’une ordonnance qui a été rendue sur la simple requête du créancier, il peut sembler préférable de ne pas différer les effets d’une décision de mainlevée rendue au contradictoire des deux parties en cause.
Seulement, un tel régime pouvait avoir des conséquences désastreuses car, une fois les mesures conservatoires levées, le débiteur pouvait très facilement faire disparaître ses actifs au détriment du créancier, et ce avant même que la cour d’appel ne se soit prononcée au fond.
Un possible revirement de jurisprudence depuis 2023 ?
En cas d’appel d’un jugement ayant ordonné la mainlevée d’une mesure conservatoire autorisée sur requête, le créancier peut saisir le Premier président de la cour d’appel d’une demande de sursis à exécution. Cette demande proroge les effets attachés à la mesure. Elle suspend aussi l’éventuelle condamnation du créancier au paiement de dommages-intérêts pour abus de saisie ainsi que la condamnation aux dépens et aux frais irrépétibles, qui s’y rattachent par un lien de dépendance.
Le Premier président de la cour d’appel peut ordonner le sursis à l’exécution des décisions du juge de l’exécution à l’exception de celles qui, dans les rapports entre créanciers et débiteurs, statuent sur des demandes dépourvues d’effet suspensif, à moins qu’elles n’ordonnent la mainlevée d’une mesure. Il n’y a pas lieu de distinguer si la mesure a été pratiquée avec ou sans autorisation préalable du juge.
Cass. 2e civ., 2 mars 2023, n° 20-21.303
La cour d’appel de Paris (CA Paris, 17 sept. 2020, n° 19/05683 – Aéroport de Paris à un prétendu débiteur de redevances aéroportuaires) avait été parfaitement fidèle au raisonnement de Cass. 2e civ., 11 avr. 2013, n° 12-18.255, F-P+B, en estimant qu’il n’entrait pas dans les pouvoirs du Premier président d’ordonner le sursis à exécution du jugement de mainlevée de la saisie conservatoire d’un aeronef car cela « reviendrait à faire produire à nouveau effet à une ordonnance rendue non contradictoirement et rétractée après débat contradictoire ».
La deuxième chambre civile cassera pourtant l’arrêt en constatant, d’une façon très générale, que l’article R. 121-22 du Code des procédures civiles d’exécution « ne distingue pas selon que la mesure a été pratiquée avec ou sans autorisation préalable du juge ». Le créancier était donc parfaitement en droit de saisir le Premier président d’une demande de sursis à exécution ; celle-ci prorogeant de plein droit les effets attachés à la mesure. La Cour de cassation précise, au surplus, qu’elle suspend l’éventuelle condamnation du créancier à des dommages-intérêts pour abus de saisie, ainsi que la condamnation aux dépens et aux frais irrépétibles, qui s’y rattacheraient par un lien de dépendance. De même, en pareille hypothèse, « l’astreinte dont est assortie l’obligation de mainlevée ne commence ou ne recommence à courir, selon le cas, qu’à compter de la notification de l’ordonnance du premier président de la cour d’appel rejetant la demande de sursis ou, si l’arrêt d’appel confirmant le jugement est rendu auparavant, du jour où celui-ci devient exécutoire, à moins que les juges d’appel n’en fixent un point de départ postérieur ».
L’arrêt du 2 mars 2023 constitue-t-il un revirement de jurisprudence ? La publication au Bulletin, la généralité des formules employées ainsi que la référence subtile à l’adage ubi lex non distinguit poussent à le croire. Le fait que la jurisprudence antérieure ne concernait essentiellement que la mainlevée des sûretés judiciaires et que cette décision aborde le cas très particulier d’une saisie conservatoire d’aéronefs (C. transp., art. L. 6123-2) ne semblent rien n’y changer. Il est vrai, cependant, que le juge de l’exécution et la cour d’appel n’ont jamais explicitement rétracté l’ordonnance autorisant cette saisie conservatoire (CA Paris, 20 déc. 2018, n° 18/22551). D’aucuns pourraient donc penser qu’il n’y a pas d’incompatibilité avec la jurisprudence antérieure et que le régime applicable varie selon que la décision de mainlevée a été – ou non – accompagnée d’une rétractation expresse de l’autorisation. La distinction confine au byzantinisme mais elle n’est pas inconcevable.
Prétendre que la localisation de l’article R. 121-22 dans le Code des procédures civiles d’exécution le rendrait inapplicable aux décisions rendues à la suite d’une ordonnance sur requête méconnaît, en réalité, la nature juridique du recours en rétractation. Il ne constitue pas un développement supplémentaire, par l’exercice d’une voie de recours, de la procédure d’ordonnance sur requête, mais un basculement de la première instance dans le contentieux poursuivi au contradictoire, ce qui rend la décision intervenue justiciable de la procédure ordinaire.
Le refus à l’appelant de la possibilité de solliciter le sursis à l’exécution de la décision ayant rétracté l’autorisation – qui lui avait été initialement accordée – de prendre une mesure conservatoire aurait certainement exposé le droit français à une condamnation pour violation de son droit fondamental à un recours effectif.
Auteurs teneurs de cette thèse : Jean-Jacques Ansault, Rudy MAHER
Mon avis : cette solution est empreinte de cohérence : les décisions de mainlevée de mesures d’exécution ou conservatoire sont l’exemple-type des décisions pour lesquelles l’appel serait privé de toute utilité si elles devaient être exécutées immédiatement.
Exécution provisoire : elle n’existe pas pour le JEX !
Nous ne sommes pas sur de l’exécution provisoire puisque la décision concernée est un jugement du JEX qui ne relève pas de ce régime.