Lorsqu’une partie à un contrat n’exécute pas ses obligations contractuelles, ou les exécute imparfaitement, son cocontractant peut notamment en poursuivre l’exécution forcée en nature ou obtenir une réduction du prix (C. civ. art. 1217).
L’article 1223 du Code civil prévoit deux hypothèses en matière de réduction du prix :
- Lorsque la prestation est exécutée de manière imparfaite, le créancier peut, après mise en demeure et tant qu’il n’a pas encore payé tout ou partie du prix, notifier au débiteur sa décision de réduire le prix de manière proportionnelle. Cette réduction doit être formalisée par écrit et acceptée par le débiteur (alinéa 1).
- Si le créancier a déjà payé, en l’absence d’accord entre les parties, il peut saisir le juge afin d’obtenir une réduction du prix (alinéa 2).
L’accès au juge en cas de non-paiement : une question tranchée par la Cour de cassation
La question se posait de savoir si un créancier qui n’a pas encore payé tout ou partie du prix pouvait tout de même saisir le juge pour demander une réduction, ou si cette possibilité était réservée aux seuls cas où le paiement avait déjà été effectué (alinéa 2). La cour d’appel avait retenu une interprétation restrictive, réservant la saisine du juge aux seuls créanciers ayant déjà réglé la prestation.
La Cour de cassation adopte une position inverse en censurant l’arrêt d’appel : la réduction du prix peut être demandée en justice dans tous les cas, y compris lorsque le créancier n’a pas encore payé. Elle précise que si le refus de paiement est injustifié, les conséquences préjudiciables pour le débiteur peuvent être compensées par des dommages-intérêts. (Cass. 1e civ. 18-12-2024 no 24-14.750 FS-B, X c/ Société mahoraise des eaux Cass. 1e civ. 18-12-2024 no 24-14.751 FS-B, Y c/ Société mahoraise des eaux Cass. 1e civ. 18-12-2024 no 24-14.752 FS-B, Z c/ Société mahoraise des eaux)
Le raisonnement de la Cour de cassation
La Haute Juridiction s’appuie sur les articles 1217 et 1223 du Code civil ainsi que sur les travaux préparatoires de la réforme. Elle souligne que le législateur a voulu permettre, sous certaines conditions, une réduction unilatérale du prix en cas d’exécution imparfaite de la prestation. Lorsque le prix a déjà été payé, la seule alternative pour le créancier est d’obtenir une réduction par voie judiciaire (alinéa 2).
Les débats parlementaires n’ayant pas expressément restreint l’accès au juge aux seuls créanciers ayant déjà payé, la Cour de cassation en conclut que cette hypothèse ne peut être interprétée comme une limitation de la saisine du juge. Par ailleurs, elle affirme qu’un créancier pouvant appliquer une sanction unilatérale doit logiquement être en mesure de demander au juge d’en prononcer l’application.
Une première application notable de l’article 1223 du Code civil
Il s’agit de la première décision de la Cour de cassation appliquant l’article 1223 du Code civil et clarifiant son champ d’application. Cette disposition, issue de l’ordonnance du 10 février 2016 et modifiée par la loi de ratification du 20 avril 2018, avait suscité des interrogations doctrinales.
Certains auteurs considéraient que, faute d’accord entre les parties, la réduction du prix devait nécessairement être prononcée par le juge (M. Poumarède et P. Le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, n° 3214.62). De même, un arrêt de la cour d’appel de Paris du 19 mars 2024 (n° 21/21917) avait estimé que le créancier devait d’abord mettre en demeure le débiteur, notifier sa décision de réduire le prix, puis, en cas de désaccord, saisir le juge.
La Cour de cassation rejette cette approche et confirme que la réduction prévue par l’alinéa 1 de l’article 1223 est une sanction unilatérale. Dès lors, un créancier qui peut l’appliquer de son propre chef doit a fortiori pouvoir en demander l’application judiciaire.