L’article R. 153-1 du code de commerce dispose que « Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant »
Pourquoi avoir créé ce délai d’un mois ?
Quand une réforme a lieu, quand une loi est créée, quand on prend la peine de modifier un article, il faut pour bien en comprendre le sens, la portée, se référer à l’esprit de la loi.
Qu’est-ce qui a poussé le législateur à créer ce délai d’un mois alors que jusqu’à présent l’action en rétractation d’une ordonnance rendue sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile n’était tenue par aucun délai (Cass. 1re civ., 3 nov. 2016, n° 15-20.495 – Cass. com., 16 févr. 2016, n° 14-25.340).
Cet article R. 153-1 a été créé par le Décret n°2018-1126 du 11 décembre 2018 – art. 1 lui même pris en application de la LOI n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires.
Certains auteurs estiment, sans toutefois le justifier, qu’avec cette réforme il y a “La volonté du pouvoir réglementaire d’empêcher les manœuvres dilatoires du requis en l’obligeant, pour bénéficier du secret des affaires, à saisir le juge dans un délai d’un mois” La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 02, 12 janvier 2023.
Par quel délai est tenu le demandeur à la rétractation ?
L’article R. 153-1 du code de commerce dispose que « Si le juge n’est pas saisi d’une demande de modification ou de rétractation de son ordonnance en application de l’article 497 du code de procédure civile dans un délai d’un mois à compter de la signification de la décision, la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant »
La question s’est posée de savoir si ce délai d’un mois s’appliquait à l’action en rétractation.
L’application du délai d’un mois de l’article R. 153-1 à la rétractation
L’auteur de ce blog a obtenu une décision en ce sens envers la banque CIC “Il n’est pas, dans ces conditions, établi que le CIC ait procédé au placement de l’assignation avant le 24 juillet 2020, de sorte que le délai de saisine de l’article R 153-1 du code de commerce n’a pas été respecté et que le juge de la rétractation n’a pas été valablement saisi. (…) — dit la société CIC irrecevable en sa demande de rétractation ”. CA Paris, pôle 1 – ch. 3, 22 sept. 2021, n° 21/00929. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2021/CCCAEE9945A3174C2E4C3
Il est tout à fait pertinent d’appliquer ce délai d’un mois pour agir en rétractation, à compter de la signification de l’ordonnance rendue sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile. En effet, cela permettrait d’enserrer l’introduction de cette action dans un délai raisonnable et d’éviter des situations inutilement complexes dans lesquelles les pièces séquestrées seraient susceptibles d’être remises au requérant alors même qu’une procédure de rétractation est en cours.
Qu’adviendrait-il si le requis, qui n’aurait pas engagé son action en rétractation dans le délai d’un mois, sollicitait la rétractation au-delà de ce délai ? Quelle posture devrait adopter le juge ?
La non-application du délai d’un mois de l’article R. 153-1 à la rétractation
La cour d’appel de Paris a également jugé que ce délai d’un mois ne concerne pas la recevabilité de la demande de rétractation, qui peut toujours être initiée postérieurement à l’expiration de ce délai (CA Paris, pôle 1, ch. 8, 23 oct. 2020, n° 19/21992. – CA Paris, pôle 1, ch. 3, 5 oct. 2022, n° 22/03125. – V. aussi CA Versailles, 14e ch., 7 avr. 2022, n° 21/04901. – CA Versailles, 14e ch., 12 mars 2020, n° 19/04497.)
Certains estiment que ce délai d’un mois ne s’applique qu’au secret des affaires, sans qu’on comprenne clairement ce que cela implique.
L’attente de la position de la Cour de Cassation
Dans ce cadre, il convient d’attendre la position de la Cour de Cassation, les deux solutions pouvant être plaidées.
Quand commence à courir le délai d’un mois de l’article R. 153-1 ?
Ce délai d’un mois doit être apprécié strictement et, conformément à l’article 857 du Code de procédure civile, le délai de saisine visé par l’article R. 153-1 du Code de commerce court à compter de la date de la remise de l’assignation au greffe du tribunal de commerce, et non à compter de la date de la délivrance de l’assignation (ce qu’on appelle de manière erronée placement).
Contrairement à ce que beaucoup soutiennent, la simple prise d’un numéro RG et d’une date d’audience avant de signifier l’assignation ne vaut pas remise de l’assignation au greffe.
On rappellera quelques bases de procédure civile (Tribunal de commerce de Paris ordonnance du 17 décembre 2020 (RG 2020030609) + Cour d’appel de Paris par arrêt du 22 septembre 2021 (RG 21/00929) :
- Le juge est saisi par la remise au greffe de la première expédition auprès du Greffe (différence assignation/saisine du tribunal)
- La date de saisine du juge est la date de remise au greffe (placement) et non la date de l’assignation
L’article R. 153-1 est-il obligatoire pour le juge ?
Les articles R. 153-1 et suivants du Code de commerce ne présentent pas de caractère impératif pour le juge des requêtes, qui reste libre d’aménager les conditions de protection des pièces les plus sensibles.
Les résistances contra legem des juges
Les juges des requêtes ont ainsi tendance, tout en se référant aux dispositions susvisées du Code de commerce, à y adjoindre des mesures qu’ils estiment utiles pour protéger ces pièces. D’où des difficultés à appliquer conjointement les ordonnances et les dispositions du Code de commerce. Exemple de difficulté soulevée par une partie à coordonner les dispositions du Code de commerce et les termes d’une ordonnance présidentielle : CA Paris, pôle 1, ch. 8, 17 déc. 2021, n° 21/06951.
À titre d’exemple, l’article R. 153-1, alinéa 2 du Code de commerce prévoit qu’à défaut de saisine du juge de la rétractation dans un délai d’un mois, « la mesure de séquestre provisoire mentionnée à l’alinéa précédent est levée et les pièces sont transmises au requérant ».
A Paris , la clause type insérée par le tribunal de commerce a comme effet que :
- la remise des pièces n’est pas automatique
- une audience doit se tenir pour protéger d’autres secrets que le seul secret des affaires (secret professionnel des avocats, secret médical)
Le tribunal de commerce de Bobigny, adoptant également une logique hostile à la mainlevée automatique du séquestre, prévoit dans ses ordonnances présidentielles que le requérant doit, dans les 2 mois suivant l’exécution de la mesure, saisir le juge des référés en mainlevée du séquestre (CA Paris, pôle 1, ch. 8, 17 déc. 2021, n° 21/06951)