Sur Internet, il peut arriver que des contenus illicites soient publiés par des internautes, tels que des propos diffamatoires, injurieux, racistes, ou portant atteinte au droit d’auteur. Ces contenus peuvent causer un préjudice aux personnes visées ou aux titulaires des droits.
Face à cette situation, il existe plusieurs moyens d’action pour obtenir la suppression de ces contenus. L’un d’entre eux est de saisir le juge du Tribunal judiciaire par la voie de la procédure accélérée au fond.
La procédure accélérée au fond est une procédure qui permet d’obtenir un jugement au fond dans des délais rapides, sans passer par une phase de référé. Elle est prévue par les articles 839 et suivants du Code de procédure civile.
Cette procédure est applicable dans les cas où la loi ou le règlement le prévoit expressément, ou lorsque les parties en conviennent d’un commun accord. Elle est notamment prévue pour les actions en responsabilité contre les hébergeurs de contenus illicites sur Internet, par l’article 6-8 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN).
“Le président du tribunal judiciaire, statuant selon la procédure accélérée au fond, peut prescrire à toute personne susceptible d’y contribuer toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne.”
Article 6 I 8 de la Loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (LCEN)
Dans cet article, nous allons voir comment fonctionne la procédure accélérée au fond devant le Tribunal judiciaire contre l’hébergeur, quelles sont ses conditions, ses modalités et ses effets.
Qui peut agir en procédure accélérée au fond (PAF) contre l’hébergeur ?
La procédure accélérée au fond contre l’hébergeur peut être engagée par toute personne qui se prétend victime d’un contenu illicite hébergé sur Internet.
Il peut s’agir d’une personne physique ou morale, publique ou privée, qui estime que le contenu porte atteinte à ses droits ou à ses intérêts légitimes.
Par exemple, une personne qui est injuriée par un commentaire sur un site web, un auteur dont l’œuvre est reproduite sans son autorisation sur une plateforme de partage, ou encore une association qui lutte contre le racisme et qui constate la présence de propos haineux sur un forum.
La victime doit agir contre l’hébergeur du contenu illicite, c’est-à-dire la personne physique ou morale qui assure, même à titre gratuit, le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature accessibles par des services de communication au public en ligne (article 6-I-2 LCEN).
L’hébergeur n’est pas responsable du contenu qu’il stocke, sauf s’il avait connaissance du caractère illicite du contenu ou si dès le moment où il en a eu connaissance, il n’a pas agi promptement pour le retirer ou en rendre l’accès impossible (article 6-I-3 LCEN).
La victime ne peut pas agir directement contre l’auteur du contenu illicite, sauf si elle dispose de son identité et de son adresse.
Quelles sont les conditions ?
Le texte ne s’applique que dans deux hypothèses :
- pour prévenir un dommage
- pour faire cesser un dommage
Les cas légitimes :
La mise en danger par communication de données personnelles (article 223-1-1 du code pénal)
C’est le cas si les informations contenues dans la publication en cause, en l’occurrence les prénom et nom du demandeur et l’insertion d’un lien permettant d’accéder directement à son compte Instagram dans lequel figure son identité, sa photographie, sa profession et l’établissement dans lequel il travaille, sont de nature à permettre son identification et sa localisation. De plus, au vu de la teneur du message qui le présente comme un délinquant et un criminel sexuel, le contenu risquerait de l’exposer à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens.
Les cas refusés
La diffamation
sur l’illicéité tirée du caractère diffamatoire des propos, le tribunal note que la procédure initiée n’oppose pas la victime de la diffamation à l’auteur des propos, de sorte que la contradiction n’est pas rendue possible, permettant à la défense de faire valoir l’exception de bonne foi. Dans ces conditions, si graves que soient les accusations portées, le caractère diffamatoire des propos invoqué par le demandeur ne peut justifier à lui seul le retrait des propos, cette mesure n’étant pas proportionnée à l’atteinte ainsi envisagée à la liberté d’expression.
Comment engager la procédure accélérée au fond contre l’hébergeur ?
La procédure accélérée au fond contre l’hébergeur se déroule devant le Tribunal judiciaire du lieu où demeure le défendeur ou celui du lieu du fait dommageable ou celui dans le ressort duquel le dommage a été subi (article 42 du Code de procédure civile).
La victime doit saisir le Tribunal judiciaire par une assignation, qui est un acte d’huissier de justice par lequel elle appelle l’hébergeur en justice et lui expose ses demandes.
L’assignation doit être signifiée à l’hébergeur au moins quinze jours avant la date de l’audience, sauf si le juge en décide autrement (article 840 du Code de procédure civile).
L’assignation doit également contenir les pièces justificatives sur lesquelles la demande est fondée, telles que :
- la copie du contenu illicite et son adresse URL ;
- la preuve de la notification à l’hébergeur du caractère illicite du contenu et de la demande de retrait ou de rendu inaccessible ;
- la preuve que l’hébergeur n’a pas agi promptement pour retirer ou rendre inaccessible le contenu illicite ;
- tout document attestant du préjudice subi par la victime.
Quelles sont les règles applicables à l’audience ?
L’audience se tient devant le président du Tribunal judiciaire ou un juge délégué par lui (article 839 du Code de procédure civile).
Le juge peut renvoyer l’affaire devant une formation collégiale s’il estime que la complexité du litige le justifie (article 481-1 du Code de procédure civile).
Le juge peut ordonner toute mesure d’instruction qu’il estime utile, telle que :
- la production de pièces complémentaires ;
- l’audition de témoins ;
- l’expertise technique ;
- la consultation d’un organisme spécialisé.
Que peut-on demander au juge ?
des mesures de blocage,
de déréférencement et de suppression de contenus illicites
La grande nouveauté c’est que le juge peut également prononcer des injonctions dynamiques qui permettent de prévenir une nouvelle diffusion de contenu illicite via des sites miroirs.
A ce titre, la Commission européenne a très récemment encouragé les Etats membres à prévoir la possibilité de demander de telle injonction dans tous les domaines de la PI, notamment en droit des marques (Recommandation UE 2024/915 du 19/03/2024). Ces recommandations s’inscrivent dans la droite ligne de la jurisprudence de la CJUE qui considère depuis 2019 qu’un contenu simplement équivalent peut faire l’objet d’une injonction de filtrage, sans pour autant porter atteinte au principe général d’interdiction de surveillance posée par la règlementation communautaire (CJUE, 3/10/2019, C-18/18 Facebook).
Il est par exemple possible de demander la condamnation d’une société (META, google, instagram, etc.à de “mettre en œuvre, par tout moyen efficace, les mesures propres à prévenir la diffusion de publicités sur Facebook, Instagram et Messenger ciblant le public de l’Union européenne dont les contenus présentent les critères cumulatifs suivants XX“. (Tribunal judiciaire de Paris, 24 avril 2024, 24/02349)
Quels sont les effets du jugement ?
Le jugement rendu par le juge dans le cadre de la procédure accélérée au fond a les mêmes effets qu’un jugement rendu selon la procédure ordinaire.
Il tranche définitivement le litige entre les parties et peut être exécuté de manière provisoire, sauf si le juge en décide autrement (article 514 du Code de procédure civile).
Le jugement peut notamment :
- ordonner à l’hébergeur de retirer ou de rendre inaccessible le contenu illicite dans un délai déterminé ;
- condamner l’hébergeur à verser des dommages-intérêts à la victime en réparation de son préjudice ;
Le jugement peut faire l’objet d’un appel devant la Cour d’appel dans un délai d’un mois à compter de sa signification (article 845 du Code de procédure civile).
La procédure sur requête
Si des droits de propriété intellectuelle sont en cause, il est possible d’agir par requête non contradictoire devant le Président du tribunal judiciaire sur le fondement de l’article L.716-4-6 du code de la propriété intellectuelle (ancien 716-6). Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 6 mai 2014, 13-11.976, Publié au bulletin ; Tribunal judiciaire de Paris, 24 avril 2024, 24/02349
Conclusion
La procédure accélérée au fond est une voie efficace pour obtenir la suppression de contenus illicites hébergés sur Internet et la réparation du préjudice causé par ces contenus.