Comment me faire indemniser d’une rupture brutale des relations commerciales établies ?

Cet article présente le régime instauré par l’article L. 442-1, II du code de commerce (ancien article L. 442-6, I, 5°), qui sanctionne le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit ou avec un préavis insuffisant.

La rupture brutale des relations commerciales établies est une faute sanctionnée par le code de commerce. Il s’agit de la cessation totale ou partielle d’une relation commerciale sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation et respectant un délai minimal (article L. 442-1 du code de commerce). Cette faute peut causer un préjudice à la partie victime de la rupture, qui peut alors demander réparation devant le juge.

Le fondement juridique

“I. – Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :

5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur. A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas ;”

Article L442-6

Quel délai de préavis retenir ?

 Pour que la rupture d’une relation commerciale établie ne soit pas considérée comme brutale, l’article L 442-1, II du Code de commerce exige le respect d’un délai de préavis « tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ».

L’appréciation de la durée de préavis nécessaire relève de l’appréciation souveraine des juges du fond (par exemple, Cass. com. 21-3-2018 n° 16-17.146 F-D : RJDA 6/18 n° 536).

Les critères pris en compte par le juge

Les juges doivent prendre en compte les critères suivants :

  • Critères légaux
    • la durée de la relation commerciale
    • les usages du commerce ou les accords interprofessionnels
  • Critères jurisprudentiels
    • l’état de dépendance du partenaire évincé (Cass. com. 6-11-2012 n° 11-24.570 F-D : RJDA 3/13 n° 263),
    • le fait que les investissements réalisés puissent être utilisés pour d’autres activités après la rupture (Cass. com. 11-5-2017 n° 16-13.464 F-D),
    • la configuration du marché, permettant au partenaire évincé de disposer ou non d’une solution techniquement et économiquement équivalente (Cass. com. 10-11-2021 n° 20-13.385 F-D).
    • le temps nécessaire pour permettre à la victime de « se réorganiser » ou « se reconvertir » ( Cass. com. 25-3-2014 n° 13-14.215 F-D : RJDA 7/14 n° 675).

Les conditions de fond

  • L’existence d’une relation commerciale établie, c’est-à-dire d’un courant d’affaires suffisamment prolongé, significatif et stable entre les parties, qui pouvait laisser augurer que cette relation avait vocation à perdurer. La relation commerciale établie peut être directe ou indirecte (par exemple, entre un fournisseur et le client de son client).
  • La brutalité de la rupture, autrement dit le caractère soudain et imprévisible du préavis donné ou de la cessation des relations. La brutalité peut résulter d’un défaut de préavis écrit ou d’une durée insuffisante du préavis écrit. La durée du préavis doit tenir compte de la durée de la relation commerciale, des usages du commerce ou des accords interprofessionnels. Le juge apprécie souverainement la durée suffisante du préavis en fonction des circonstances de l’espèce. Toutefois, la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être engagée du chef d’une durée insuffisante dès lors qu’il a respecté un préavis de 18 mois.
  • Le lien de causalité entre la rupture brutale et le préjudice subi par la victime. Le préjudice doit être direct et certain. Il peut consister en une perte de chiffre d’affaires, une perte de marge, une perte de clientèle, une perte d’exploitation, etc.

Les modalités de réparation

Le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice causé par la rupture brutale. Le montant des dommages-intérêts doit correspondre au manque à gagner subi par la victime pendant la période du préavis qui aurait dû être respecté.

Si ces conditions sont remplies, la victime peut saisir le tribunal de commerce compétent pour demander une indemnisation. Le juge va alors apprécier le montant du préjudice en tenant compte de plusieurs éléments, tels que :

  • La durée de la relation commerciale
  • La part du chiffre d’affaires réalisé avec le partenaire commercial
  • Les investissements consentis par la victime pour maintenir ou développer la relation
  • Les perspectives d’évolution de la relation
  • Le délai de préavis accordé ou non par l’auteur de la rupture
  • Le comportement des parties pendant et après la rupture

Le juge peut également tenir compte des circonstances particulières du secteur d’activité concerné, comme les usages ou les normes contractuelles applicables (Cour de cassation, chambre commerciale, 23 septembre 2015, n° 14-17.197).

L’exception est celle de la reprise forcée des relations.

La victime peut demander au juge de condamner l’auteur de la rupture à lui verser des dommages-intérêts correspondant au montant du préjudice subi. Elle peut également demander au juge d’ordonner le rétablissement des relations commerciales aux conditions antérieures à la rupture, si cela est possible et si cela ne porte pas atteinte à l’intérêt général (article L. 442-1 du code de commerce).

Quel contrôle de la Cour de Cassation sur la durée de préavis ?

La Cour de Cassation se contente de vérifier que la cour d’appel de Paris applique bien les critères légaux et jurisprudentiels établis (et rappelés ci-dessous).

En revanche, la Cour de Cassation ne peut pas contrôler la durée du préavis en mois estimée par la cour d’appel en application de ces critères puisque cela relève de leur pouvoir souverain, qui n’est pas contrôlable par la Cour de Cassation. (Cour de cassation, civile, Chambre commerciale, 18 octobre 2023, 22-20.438, Publié au bulletin).

Autrement dit, rien ne sert de faire un pourvoi en cassation si la seule critique repose sur la durée retenue par la cour d’appel.

En revanche, un pourvoi est à envisager si la cour d’appel a omis de prendre en compte le comportement des parties pendant la rupture.

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