Vous avez reçu un courrier de la société PicRights Europe GMBH vous demandant de l’argent pour avoir utilisé une photographie sans autorisation.
Faut-il s’en inquieter ? Faut-il répondre ? Faut-il avoir peur ?
Dans 99% des cas, ces mises en demeure n’iront pas plus loin. Elles visent les 1% de destinataires qui, apeurés, décideraient de payer.
Autrement dit, si vous avez supprimé l’image de votre site à réception du courrier, il y a de très grandes chances que vous ne risquiez rien de PicRights si ce n’est de recevoir des courriers.
Qui est PicRights
PicRights est une société suisse chargée d’identifier les reproductions illicites de photographies sur internet (contrefaçons de droits d’auteur) : https://www.picrights.com/.
Les organes de presse comme l’AFP mandatent la société Picrights qui dispose d’un outil d’intelligence artificielle de reconnaissance dans lequel elle stocke les photographies de ses clients.
Lorsque PicRights identifie, sur un site web, une photographie appartenant à l’un de ses clients, elle adresse un premier courrier par mail au propriétaire de ce site.
Son existence est d’ailleurs pour le moins trouble. En France, les courriers sont signés par un dénommé “Aurélien CAVALIER”. Une rapide recherche permet de se rendre compte qu’il ne s’agit même pas d’un salarié de PicRights mais d’un “freelance”, autrement dit d’un auto entrepreneur.
En quoi consistent les demandes de PicRights ?
Les courriers de Picrights prennent généralement la forme suivante :
« Chère Madame, Cher Monsieur,
[Nom du client] a confié à notre société PicRights Europe GmbH (« PicRights ») la vérification du respect des droits d’auteur de ses contenus. Pour de plus amples informations, veuillez visiter xxxxxxxxxxxxx
Dans le cadre de sa mission, PicRights a identifié sur votre site une/des image(s) appartenant à [nom du client]. Or, [nom du client] n’a pas connaissance d’une autorisation couvrant cette utilisation.
Vous trouverez en fin de ce courriel une copie de cette/ces image(s) en question et une capture d’écran de son/leur utilisation sur votre site internet.
Pour plus d’informations sur ce différend: https://resolve.picrights.com/xxxxxxxxxxxx / Mot de Passe : XXXXXXXXXX
Nous vous contactons afin que vous nous indiquiez si vous disposez d’une autorisation en cours de validité pour cette utilisation:
- Si vous bénéficiez d’une autorisation d’utilisation en cours de validité pour cette utilisation, nous vous remercions de bien vouloir nous l’adresser via https://resolve.picrights.com/xxxxxxxxx, en cliquant sur le lien «J’ai une licence…».
- Si vous ne bénéficiez pas d’autorisation d’utilisation pour cet usage, nous vous remercions de retirer cette/ces image(s) immédiatement de votre site internet et de nous contacter à ResolveFR@picrights.com afin de régulariser cette situation.
Nous attirons votre attention sur le fait que le retrait seul de cette/ces image(s) ne suffira pas à clore ce différend. Nous réclamons le paiement d’un dédommagement lorsqu’une image fait l’objet d’une utilisation non autorisée.
Si vous pensez avoir reçu cet e-mail par erreur, n’hésitez pas à prendre contact avec nous par courriel à resolveFR@picrights.com , en mentionnant la référence XXXX-XXXX-XXXX
Soucieux de régler ce différend dans les plus brefs délais, nous vous prions de bien vouloir répondre au plus tard dans les quatorze (14) jours à compter de la date de la présente lettre.
Au nom de PicRights et de [Nom du client], nous vous remercions de votre coopération et nous tenons à votre disposition.»
En fin de courrier, est reproduite la photographie dont l’utilisation aurait été constatée, ainsi qu’une capture d’écran présentée comme une « preuve d’utilisation sur votre site internet ».
Le très faible volume de contentieux
Les bases de données juridiques montre que seulement …. 2 jugements ont été rendus à la suite de constatations d’infractions par Picrights
Le fondement juridique bancal de PicRights : l’absence d’originalité
Toute leur action part du principe que la photo litigieuse serait ORIGINALE.
Or, le droit français est particulièrement tatillon et bien souvent cette originalité fera défaut.
“En d’autres termes, pour bénéficier de la protection au titre du droit d’ auteur, une photographie doit être, indépendamment du sujet photographié ou de la destination du cliché, une création intellectuelle propre à son auteur, reflétant sa personnalité qui peut se révéler en premier lieu dans la phase de préparation de la prise de la photographie par ses choix dans le placement des objets à photographier ou en exprimant sa personnalité par l’éclairage choisi; qu’en second lieu le photographe peut imprégner la photographie de sa personnalité au moment de la prise de vue elle-même, par le cadrage, l’angle de prise de vue, le jeu des ombres et de la lumière; qu’enfin le photographe peut révéler sa personnalité en retravaillant la photographie, notamment à l’aide de logiciels professionnels dédiés à cet effet, par la modification des couleurs, la suppression d’éléments, le recadrage ou le changement des formats. (…) Par conséquent, il n’est pas démontré que la photographie, qui est, certes, le fruit d’un travail technique maîtrisé, est protégée par le droit d’auteur dans la mesure où elle ne révèle pas de choix créatifs ou de parti pris esthétique particuliers témoignant de la personnalité de son auteur.” (TJ Paris 27 juin 2024 / n° 22/02990)
L’absence de preuve par capture d’écran
Il est également possible de contester la valeur probante de la capture d’écran puisqu’aucun PV de constat n’a été réalisé. Il ne faut cependant pas reconnaitre par email la réalité de l’utilisation..
Le parasitisme
Le fondement juridique du parasitisme a en revanche lui plus de chances de prospérer
“Il est constant que celui qui ne dispose pas de droit privatif sur l’élément qu’il exploite dans le commerce ne peut trouver dans l’action en concurrence déloyale ou parasitaire une protection de repli lui permettant de faire sanctionner la simple exploitation non autorisée de cet élément. En outre, le simple fait de copier un produit qui n’est pas protégé par des droits de propriété intellectuelle ne constitue pas en soi un acte de concurrence déloyale ou de parasitisme.
Est en revanche fautif le fait, pour un professionnel, de s’immiscer dans le sillage d’un autre afin de tirer profit, sans rien dépenser, de ses efforts et de son savoir-faire particulier (Cass. Com., 26 janvier 1999, pourvoi n° 96-22.457 ; Cass. Com., 10 septembre 2013, pourvoi n° 12-20.933), ce qui constitue un acte de parasitisme. En outre, les agissements parasitaires peuvent être constitutifs d’une faute au sens de l’article 1240 du code civil même en l’absence de toute situation de concurrence (Cass. Com., 30 janvier 1996, pourvoi n° 94-15.725, Bull. 1996, IV, n°32).”
“Or, l’AFP, afin de remplir la mission qui lui est assignée par la loi n°57-32 du 10 janvier 1957, consistant à mettre une information complète et objective à disposition des usagers contre paiement, procède à différents investissements humains et financiers, pour constituer cette banque d’images. Cela implique notamment la mise en place d’un réseau de photographes professionnels qu’elle rémunère, qu’elle équipe de matériels performants et dont elle couvre les frais de production. La directrice financière de l’AFP atteste d’ailleurs des charges exposées pour la filière photo, bien que les données concernent les années 2020 à 2022.
De ce fait, en reproduisant le cliché sur son site internet, sans bourse délier, la société DK Ambassador a profité des investissements de l’AFP et, sans manquer à une obligation pré-existante qui lui serait imposée par la loi du 10 janvier 1957, a néanmoins adopté un comportement fautif parasitaire, de nature à engager sa responsabilité civile.”
Cependant, la question du parasitisme semble ne pas être recevable si la photo n’est pas originale.
Combien je risque ?
En général, la somme due en application des tarifs de l’AFP.
Pour une affaire récente, voici le calendrier:
- 3 juillet 2018 : capture d’écran par picrights
- Mars 2021 : retrait de la photo
- 11 février 2022 : assignation
- 27 juin 2024 : condamnation à payer 578,75 € pour deux ans d’utilisation d’une photo
Vu les montants en jeu et au regard des frais d’avocat, il est très peu probable que l’AFP assigne effectivement les auteurs.