Un créancier professionnel ne peut pas se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation (C. consom. ex-art. L 332-1 et L 343-4 applicables au litige ; désormais C. civ. art. 2300).
Qu’est-ce qu’un cautionnement disproportionné ?
La disproportion manifeste d’un cautionnement souscrit par une personne physique à l’égard d’un créancier professionnel s’apprécie au regard des capacités financières et de l’endettement global de la caution à la date de souscription de son engagement. Est notamment pris en compte l’endettement résultant des autres cautionnements précédemment souscrits par la caution (Cass. 1e civ. 15-1-2015 no 13-23.489 F-PB : RJDA 4/15 no 306), même s’ils ont été déclarés disproportionnés (Cass. com. 29-9-2015 no 13-24.568 FS-PB : RJDA 2/16 no 148). Mais il n’est pas tenu compte des cautionnements conclus après le cautionnement litigieux (Cass. com. 9-5-2018 no 16-26.926 F-D : RJDA 8-9/18 no 681).
La définition du patrimoine pris en compte
Avant comme après la réforme, la disproportion d’un cautionnement souscrit par un époux s’apprécie différemment selon le régime matrimonial de celui-ci.
Si la caution est mariée sous le régime de la séparation de biens, sont pris en compte ses seuls biens et revenus personnels (Cass. 1e civ. 25-11-2015 no 14-24.800 F-D : Gaz. Pal. 12-4-2016 p. 32 note S. Piédelièvre ; Cass. com. 24-5-2018 no 16-23.036 F-PBI : RJDA 10/18 no 772). La quote-part des biens indivis d’un époux séparé de biens entre dans ce patrimoine personnel pris en compte pour apprécier la proportionnalité du cautionnement. En effet, les biens sur lesquels aucun des époux ne peut justifier d’une propriété exclusive sont réputés leur appartenir indivisément, à chacun pour moitié (C. civ. art. 1538, al. 3), l’acte de propriété pouvant bien entendu prévoir une répartition différente.
Lorsque la caution est mariée sous le régime de la communauté, la proportionnalité de son engagement s’apprécie au regard des biens et des revenus propres de la caution mais aussi des biens communs des époux (notamment, Cass. com. 6-6-2018 no 16-26.182 FS-PBI : RJDA 8-9/18 no 680).
Quel que soit le régime matrimonial choisi, il importe peu de déterminer si le conjoint de la caution a donné ou non son accord au cautionnement (Cass. com. 15-11-2017 no 16-10.504 F-PBI : RJDA 2/18 no 177 ; Cass. com. 6-6-2018 no 16-26.182 précité ; arrêts rendus à propos d’époux communs en biens).
La nécessaire prise en comptes des cautionnements antérieurs non déclarés
Si elle n’a pas été invitée par le créancier professionnel à remplir une fiche de renseignements, la caution n’a pas à déclarer ses engagements antérieurs et ces engagements non déclarés doivent être pris en compte pour apprécier la disproportion du cautionnement.
Cass. com. 4-4-2024 no 22-21.880 F-B, E. c/ Sté Minoterie Forest
En pratique, les prêteurs, qui ont l’obligation de s’enquérir de la situation financière et patrimoniale de la caution (Cass. com. 20-4-2017 no 15-16.184 F-D : RJDA 10/17 no 664), lui font remplir une fiche de renseignements. La caution ne peut en principe pas se prévaloir de ce que sa situation serait en réalité moins favorable que celle qu’elle a déclarée (Cass. com. 8-3-2017 no 15-20.236 F-D : RJDA 7/17 no 502), sauf si la déclaration n’a pas été signée (Cass. com. 29-9-2021 no 20-14.660 F-D : RJDA 6/22 no 366), si elle l’a été après la conclusion du cautionnement (Cass. com. 13-3-2024 no 22-19.900 F-B : BRDA 9/24 inf. 18) ou si elle comporte une anomalie apparente (Cass. com. 4-11-2021 no 19-18.142 F-D : RJDA 3/22 no 170).
La Cour de cassation précise qu’aucune obligation déclarative ne pèse sur la caution si le prêteur ne lui demande pas de renseignements. Dans ces conditions, l’appréciation de la disproportion du cautionnement se fait au regard de tous les biens et revenus ainsi que de toutes les dettes de la caution, à charge pour elle d’en établir l’existence. la caution, qui n’avait pas été invitée par le prêteur à établir une fiche de renseignements, n’était pas tenue de déclarer spontanément l’existence d’engagements antérieurs ; en l’absence de telles déclarations, tous ses biens et revenus devaient être pris en compte pour apprécier l’existence d’une éventuelle disproportion de son engagement. Par suite, la caution pouvait se prévaloir des cautionnements litigieux.
Signalons que la première chambre civile de la Cour de cassation a jugé que la caution, qui avait rempli, à la demande du prêteur, une fiche de renseignements sans y faire apparaître un cautionnement antérieur, cette information n’étant pas requise, ne pouvait pas se prévaloir de ce cautionnement pour justifier de la disproportion de son engagement (Cass. 1e civ. 24-3-2021 no 19-21.254 FS-P : RJDA 7/21 no 518). Faut-il y voir une distinction selon qu’une fiche de renseignements a été demandée (peu importe son contenu) ou non ? Ou est-ce révélateur d’une approche plus souple de la chambre commerciale ? La Haute Juridiction devra lever ces interrogations.
Sanction du cautionnement disproportionné
Les cautionnements souscrits depuis le 1er janvier 2022 par une personne physique envers un créancier professionnel et qui étaient, lors de leur conclusion, manifestement disproportionnés aux revenus et au patrimoine de la caution, sont réduits au montant à hauteur duquel celle-ci pouvait s’engager à cette date (C. civ. art. 2300).
Evolution juridique en faveur du créancier : de la nullité à la réduction
Sous l’empire du droit antérieur à cette ordonnance, un créancier professionnel ne pouvait pas se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, sauf si le patrimoine de cette caution lui permettait de faire face à son obligation, au moment où elle était appelée (C. consom. art. L 332-1).
L’ordonnance du 15 septembre 2021 a abrogé ce texte pour intégrer, dans le Code civil, une disposition aux termes de laquelle, si le cautionnement souscrit par une personne physique envers un créancier professionnel était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné aux revenus et au patrimoine de la caution, il est réduit au montant à hauteur duquel elle pouvait s’engager à cette date (C. civ. art. 2300, applicable depuis le 1er janvier 2022).