La clause attributive de compétence a pour objet de déroger aux règles de compétence de droit commun afin de soustraire le litige à son juge naturel et le soumettre à une autre juridiction (Cass. 1re civ., 28 mars 2008, n° 04-18.724)
Introduction
La clause attributive de juridiction est une clause contractuelle qui désigne par avance la juridiction compétente en cas de litige entre les parties. Elle permet ainsi de déroger aux règles de compétence fixées par la loi, qui sont généralement fondées sur le lieu du domicile du défendeur ou du lieu du fait dommageable.
Toutefois, la validité et l’opposabilité de la clause attributive de juridiction sont soumises à des conditions strictes, qui varient selon que le litige relève du droit interne ou du droit international.
La clause attributive de juridiction peut porter sur deux aspects de la compétence :
- la compétence territoriale : c’est la clause de compétence territoriale
- ou la compétence matérielle (compétence d’attribution) : c’est la clause attributive de compétence d’attribution
- Parfois, elle cumule les deux !
La clause attributive de juridiction/compétence territoriale
En droit interne, l’article 48 du Code de procédure civile dispose que :
Toute clause qui, directement ou indirectement, déroge aux règles de compétence territoriale est réputée non écrite à moins qu’elle n’ait été convenue entre des personnes ayant toutes contracté en qualité de commerçant et qu’elle n’ait été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée.
La clause attributive de juridiction territoriale
Ainsi, la clause attributive de juridiction territoriale n’est valable que
- si elle est stipulée entre commerçants
- et si elle est rédigée de façon très apparente, c’est-à-dire qu’elle doit être clairement identifiable et visible dans le contrat. Par exemple, elle ne peut pas être noyée dans un ensemble de clauses générales ou renvoyer à des conditions générales d’utilisation accessibles par un simple lien hypertexte.
La compétence territoriale désigne la juridiction compétente en fonction du lieu, par exemple le lieu du domicile du défendeur ou le lieu du fait dommageable. La compétence d’attribution désigne la juridiction compétente en fonction de la nature du litige, par exemple le tribunal judiciaire pour les litiges civils ou le tribunal de commerce pour les litiges commerciaux.
La clause attributive de juridiction territoriale est une clause qui détermine la juridiction compétente en fonction du lieu, en dérogeant à la règle générale qui est celle du domicile du défendeur (article 42 du Code de procédure civile). Par exemple, les parties peuvent convenir que tout litige sera porté devant le tribunal judiciaire de Paris, quel que soit le lieu du domicile du défendeur ou le lieu du fait dommageable.
La clause attributive de compétence matérielle (clause attributive de compétence d’attribution)
En droit français, la clause attributive de compétence matérielle est valable sous certaines conditions.
Interdiction de modifier la compétence des juridictions d’exception: Une clause attributive de juridiction ne saurait méconnaître la compétence spéciale des juridictions d’exception ; par conséquent, il n’est pas possible d’attribuer à une juridiction d’exception ce qui relève du tribunal judiciaire ni d’attribuer à une juridiction d’exception ce qui relève d’une autre juridiction d’exception. Ainsi, par exemple, une clause attributive de compétence matérielle ne pourrait pas saisir le conseil des prud’hommes d’une question relevant de la compétence du tribunal de commerce .
Par exemple, elle ne peut pas écarter la compétence exclusive du tribunal judiciaire pour les litiges relatifs au statut des personnes ou aux droits réels immobiliers.
Elle doit également être conforme à l’ordre public et aux bonnes mœurs.
Règles d’intérêt privé : Plusieurs décisions de juges du fond ont admis la validité de clauses mixtes (territoriale et matérielle) attribuant un litige entre commerçants au tribunal de grande instance (T. com. Paris, ch. 1, sect. B, 3 avr. 1995, n° 93/86921 : JurisData n° 1995-042511. – CA Paris, ch. 3, sect. A, 14 oct. 2008 : JurisData n° 2008-372025 , à propos d’un litige relatif à un pacte d’actionnaires. – CA Paris, Pôle 1, ch. 3, 4 juin 2013, à propos d’un litige entre sociétés commerciales).
Pour la cour d’appel de Douai « la clause par laquelle les parties conviennent que le tribunal de grande instance sera compétent, alors que le tribunal de commerce l’aurait légalement été, est valable sauf lorsque le tribunal de commerce a compétence exclusive » (CA Douai, ch. 2, sect. 1, 19 juin 2013, n° 12/04570 ).
Des commerçants peuvent renoncer à la compétence du tribunal de commerce
Acte mixte
La clause attributive de compétence au tribunal de commerce est inopposable au défendeur non commerçant (Cass. com., 10 juin 1997, n° 94-12.316 : JurisData n° 1997-002667 ; Bull. civ. IV, n° 185 ; JCP G 1997 , I, 4064, L. Cadiet. – CA Riom, ch. com., 21 mars 2007, n° 06/02631 : JurisData n° 2007-334017, à propos d’une clause stipulée entre un commerçant et une commune. – V. également, CA Toulouse, ch. 2, sect. 1, 6 déc. 1995 : JurisData n° 1995-052910 ; D. 1996, IR, p. 87, en matière de clauses abusives).
La clause attributive de juridiction est-elle applicable en référé ?
La question qui se pose alors est celle de l’applicabilité et/ou de l’opposabilité et/ou de l’invocabilité de la clause attributive de juridiction en référé.
Le référé est une procédure d’urgence qui permet d’obtenir une mesure provisoire ou conservatoire en présence d’une situation nécessitant une intervention rapide du juge.
Le référé-provision permet au demandeur d’obtenir le paiement d’une somme d’argent ou l’exécution d’une prestation qui ne sont pas sérieusement contestables.
Le référé-conservatoire permet au demandeur de solliciter une mesure conservatoire ou de remise en état qui s’impose pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
La question de l’applicabilité et/ou de l’opposabilité et/ou de l’invocabilité de la clause attributive de juridiction en référé dépend du type de référé et du droit applicable au litige.
Une clause attributive de compétence territoriale est inopposable à la partie qui saisit le juge des référés (Cass. com. 25-6-2002 n° 99-14.761 : RJDA 12/02 n° 1337 ; Cass. com. 16-2-2016 n° 14-25.340 FS-PB : RJDA 12/16 n° 922 ; Cass. com. 13-9-2017 n° 16-12.196 F-PBI).
En droit interne, la clause attributive de juridiction est en principe inopposable au juge des référés, qui peut être saisi par le demandeur à son choix dans le ressort du tribunal judiciaire où demeure le défendeur ou dans celui où les mesures doivent être prises ou exécutées. Cette solution se justifie par le caractère provisoire et urgent des mesures ordonnées en référé, qui ne préjugent pas du fond du litige. Le juge des référés n’est donc pas tenu par la clause attributive de juridiction, qui ne lie que le juge du fond.
Sanction du non respect d’une clause attributive de juridiction
Les moyens tirés de la prétendue incompétence d’une juridiction doivent être examinés aussi rapidement que possible. Les parties doivent donc les soulever au tout début du procès. Dans le même souci d’un examen prioritaire pour ne pas retarder l’issue au fond du litige, les voies de recours contre la décision du juge statuant sur sa compétence obéissent à des règles spécifiques.
L’exception d’incompétence doit être soulevée au seuil de l’instance, à peine d’irrecevabilité (CPC art. 74, al. 1).
Dans la chronologie, cette exception doit être formulée avant toute fin de non-recevoir ou défense au fond.
Dans une procédure écrite, même si les arguments peuvent être énoncés dans un même jeu de conclusions, le plan doit être strictement organisé :
1/ Exception d’incompétence ;
2/ Fin de non-recevoir (si les conditions du droit d’agir ne sont pas réunies) ;
3/ Subsidiairement au fond, et dans l’hypothèse où, par extraordinaire, la juridiction saisie se déclarerait compétente et tiendrait l’action pour recevable.
Lorsque le défendeur a été défaillant en première instance, il peut soulever l’exception d’incompétence dans le cadre d’une opposition, si le jugement a été rendu par défaut (CPC art. 572, al. 1) ou d’un appel, si le jugement était réputé contradictoire, à condition qu’il présente cette exception avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.
Pour rejeter l’exception d’incompétence, un arrêt a retenu que la protestation d’une société à l’égard de sa mise en cause, du fait d’une éventuelle inopposabilité de l’expertise, constituait bien un moyen qui tendait à faire rejeter comme non justifiée la prétention de la société adverse tendant à sa garantie, de sorte que l’exception qu’elle soulevait était irrecevable. En statuant ainsi, alors que la société auteur de l’exception ne demandait pas que l’expertise lui fût déclarée inopposable et qu’elle s’était bornée à défendre à la demande de jonction de l’instance en garantie la concernant à celle sur le fondement des vices cachés intentée contre la société adverse, sans faire valoir de défense sur le fond du droit, la cour d’appel a violé les articles 71 et 74 du CPC (Cass. 2e civ. 2-2-2023 n° 21-15.924 F-B).
Une partie ne peut pas soulever l’incompétence pour la première fois devant la Cour de cassation, même si l’incompétence est d’ordre public (n° 28255). En revanche, elle peut prétendre que la juridiction saisie en appel est incompétente (CPC art. 75).
Dans les procédures où existe un préliminaire de conciliation, l’exception d’incompétence peut être soulevée après l’échec de la tentative de conciliation (en matière prud’homale, notamment : Cass. soc. 22-1-1975 n° 74-40.133 : Bull. civ. V n° 28).
Dans les procédures orales, l’exception peut être soulevée lors des débats à l’audience, peu important que des conclusions écrites eussent été préalablement déposées sur la recevabilité de l’action ou sur des questions de fond, dans la mesure où, dans ces procédures, les conclusions ne sont qu’indicatives (Cass. 2e civ. 16-10-2003 n° 01-13.036 : Bull. civ. II n° 311).
Lorsque le juge a fixé un calendrier de procédure précisant les dates d’échanges des pièces et conclusions, il paraît désormais nécessaire de soulever l’exception dès le premier jeu d’écritures, à charge de la confirmer le jour de l’audience « in limine ».
Le droit international
Disclaimer : le doit international est finalement très peu utilisé dans les dossiers du quotidien alors qu’il est sur représenté dans les manuels de droit et dans les articles de doctrine. Par élitisme peut-être, par défi intellectuel sans doute. EN tout état de cause, son étude rentre difficilement dans le champ théorique de ce blog qui vient parler des dossiers réellement rencontrés par les justiciables et praticiens. C’est pour cela qu’il sera rapidement évoqué.
En droit international, la validité et l’opposabilité de la clause attributive de juridiction sont régies par le règlement (UE) n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dit Bruxelles I bis. Ce règlement s’applique aux litiges impliquant des parties domiciliées dans des États membres de l’Union européenne.
L’article 25 du règlement Bruxelles I bis dispose que :
En matière civile et commerciale et si les parties sont domiciliées dans un État membre, les juridictions d’un État membre désignées par une convention attributive de juridiction sont compétentes quelle que soit leur nationalité. Une telle convention attributive de juridiction doit être soit :
a) conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite;
b) conforme aux usages dont les parties avaient connaissance ou auxquels elles étaient censées avoir eu connaissance en vertu des habitudes du commerce international;
c) dans le commerce international, conclue sous une forme qui soit conforme aux usages dont les parties avaient connaissance ou auxquels elles étaient censées avoir eu connaissance.
Ainsi, la clause attributive de juridiction est valable si elle est conclue par écrit ou verbalement avec confirmation écrite, ou si elle est conforme aux usages du commerce international. Elle n’est pas limitée aux seuls commerçants et peut être invoquée par toute personne domiciliée dans un État membre.
En droit international, la clause attributive de juridiction est en principe applicable et opposable au juge des référés, qui doit respecter la volonté des parties de désigner une juridiction compétente pour trancher leur litige.
Toutefois, le règlement Bruxelles I bis prévoit des exceptions à ce principe, notamment lorsque la clause attributive de juridiction est manifestement nulle ou inapplicable au litige, ou lorsque le demandeur invoque l’existence d’un trouble manifestement illicite ou d’un dommage imminent et que les mesures sollicitées sont nécessaires pour assurer l’efficacité du jugement au fond.
Dans ces cas, le juge des référés peut se déclarer compétent pour ordonner des mesures provisoires ou conservatoires, sans préjudice de la compétence du juge du fond désigné par la clause attributive de juridiction.
Conclusion
En conclusion, la clause attributive de juridiction est une clause contractuelle qui permet aux parties de choisir la juridiction compétente en cas de litige. Elle est soumise à des conditions de validité et d’opposabilité qui varient selon que le litige relève du droit interne ou du droit international.
En référé, la clause attributive de juridiction est en principe inopposable en droit interne et opposable en droit international, sauf exceptions prévues par la loi ou le règlement Bruxelles I bis.