La demande d’avis à la Cour de Cassation

La demande d’ avis à la Cour de cassation est un outil de régulation jurisprudentielle qui vise à prévenir la naissance de divergences de jurisprudence au sein des juridictions du fond qui seraient confrontées à une question de droit nouvelle posant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.

Si la demande d’ avis dépasse l’avocat au litige comme la juridiction de renvoi compte tenu de sa nécessaire sérialité, il serait cependant erroné de croire que le premier comme le second n’ont pas un rôle actif à jouer.

Fondement juridique

Article L441-1 COJ

Avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation.

Elles peuvent, dans les mêmes conditions, solliciter l’avis de la commission paritaire mentionnée à l’article L. 2232-9 du code du travail ou de la Cour de cassation avant de statuer sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.

Article 1031-1 CPC

Lorsque le juge envisage de solliciter l’avis de la Cour de cassation en application de l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d’irrecevabilité. Il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu’il fixe, à moins qu’ils n’aient déjà conclu sur ce point.

Dès réception des observations ou à l’expiration du délai, le juge peut, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation en formulant la question de droit qu’il lui soumet. Il sursoit à statuer jusqu’à la réception de l’avis ou jusqu’à l’expiration du délai mentionné à l’article 1031-3.

La saisine pour avis ne fait pas obstacle à ce que le juge ordonne des mesures d’urgence ou conservatoires nécessaires.

La décision sollicitant l’avis est adressée, avec les conclusions et les observations écrites éventuelles, par le greffe de la juridiction au greffe de la Cour de cassation. Elle est notifiée, ainsi que la date de transmission du dossier, aux parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Le ministère public auprès de la juridiction est avisé ainsi que le premier président de la cour d’appel et le procureur général lorsque la demande d’avis n’émane pas de la cour.

La Cour de cassation rend son avis dans les trois mois de la réception du dossier.

Les conditions de fond

Pour emporter l’adhésion de la juridiction de la nécessité d’une demande d’ avis , le praticien doit se poser trois questions avant de soumettre ses propositions de rédaction.

I° Sommes-nous en présence d’une question de droit nouvelle ?

En ce sens, n’est évidemment pas nouvelle la question sur laquelle la Cour de cassation a déjà eu l’occasion de se prononcer (Cass. 2e civ., avis , 11 juill. 2019, n° 19-70.012, P + B + R + I : JurisData n° 2019-012497 ; Procédures 2019, comm. 247, obs. H. Croze. – Cass. avis , 29 janv. 2007, n° 07-00.003 : Bull. civ. avis , n° 2 ) .

Moins évident, n’est pas nouvelle non plus la question qui « se pose dans des pourvois en cours devant la Cour de cassation » (Cass. avis , 9 mars 2015, n° 14-70.012 : JurisData n° 2015-004685 ; Bull. civ. avis , n° 3. – Cass. avis , 22 oct. 2012, n° 12-00.012 : Bull. civ. avis , n° 9 ). Les parties n’ont ici aucune visibilité ou maîtrise et il appartiendra à la juridiction qui envisage la saisine pour avis de se rapprocher du service de la documentation des études et du rapport de la Cour de cassation (S.D.E.R) pour s’enquérir de l’existence de pourvois pendants.

Enfin, demeure nouvelle la question sur laquelle la Cour de cassation ne s’est jamais prononcée en dépit de nombreuses décisions rendues au fond.

II° Cette problématique est-elle susceptible de se poser dans de nombreux litiges ?

a) De nombreux…

Il n’existe pas de méthodologie précise pour apprécier ce critère du nombre des litiges. On soulignera d’ailleurs qu’il est difficile voire impossible pour l’avocat comme pour la juridiction d’apprécier statistiquement l’impact d’un avis potentiel sauf à se référer à sa propre expérience.

On citera pour mémoire l’avis de la Cour de cassation, 16 juin 1995 (Cass. avis , 16 juin 1995, n° 09-50.009 : Bull. civ. avis , n° 7) selon lequel la question suivante : « un contrat d’assurance obligatoire peut-il valablement exclure de son champ d’application territorial une partie du territoire national tels les départements d’outre-mer ? » n’était pas susceptible de se poser dans de nombreux litiges.

L’ avis très récent (Cass. 2e civ., avis , 14 sept. 2022, n° 22-70.006) admettant la recevabilité d’une demande d’ avis sur l’application de l’ordonnance du 21 avril 1945 (sur la nullité des spoliations résultant de la seconde guerre mondiale) semble à l’inverse suggérer une appréciation libérale de ce critère. Il convient cependant de rester prudent sur ce point, la question de fond n’étant pas non plus anodine.

b) … Litiges

Le « litige » peut-il s’étendre également à la matière gracieuse ?

Si les travaux préparatoires de ce texte ne comportent pas d’indication quant à la teneur de la notion de litige, certains avis de la Cour de cassation semblent admettre la possibilité de saisir la Cour de cassation pour avis au stade de la phase gracieuse.

Il en va ainsi en matière d’adoption (Cass. avis , 22 sept. 2014, n° 14-70.006 : JurisData n° 2014-021251 : Bull. civ. avis , n° 6), de mesures de protection judiciaire (Cass. avis , 20 juin 2011, n° 11-00.004 : Bull. civ. avis , n° 7) ou de surendettement (Cass. avis , 13 nov. 2006, n° 06-00.013 : Bull. civ. avis , n° 11).

c) Pose-t-elle des difficultés sérieuses ?

La Cour de cassation n’a jamais défini jurisprudentiellement les contours des difficultés sérieuses auxquelles renvoie l’article L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire. On ne peut donc que procéder par illustration, ce qui n’est que de peu de soutien pour le praticien.

On peut se rattacher à l’analyse doctrinale de Ph. Flores (JCl. Procédures Formulaire, V° Cassation, fasc. 70) selon lequel une difficulté sérieuse signifie que la question « offre plusieurs solutions logiques également admissibles. En revanche, la demande d’ avis est rejetée lorsque la solution s’impose (Cass. avis , 29 janv. 2007, n° 07-00.003 : Bull. avis , n° 2). »

d) La rédaction de la question

La rédaction de la question repose sur :

  1. l’exposé d’une situation juridique constante ;
  2. sans considération des faits, sauf à rappeler que les textes permettent de résoudre le litige ;
  3. la démonstration d’un problème dans l’application de ces règles et
  4. la présentation d’une alternative pour sa résolution.

La présentation de la situation juridique implique un rappel exhaustif des textes applicables, ou pouvant être appliqués, en fonction de l’alternative posée. Il convient de s’attacher à une présentation hiérarchique des normes et de souligner les liens les unissant.

Les faits peuvent être utilement, mais brièvement, rappelés pour démontrer que les textes identifiés s’appliquent à la résolution du litige. L’examen des faits ne doit pas aller au-delà de cette question, le juge devant qualifier juridiquement la situation qui lui est soumise.

La démonstration du problème suppose de mettre en lumière une contradiction entre les textes, dans leur lettre ou leur application. Purement objective, cette démonstration ne peut plus dépendre de l’examen particulier du litige.

La question proprement dite, reproduite au dispositif du jugement portant avis , ne peut être formulée de manière générale mais doit poser des alternatives claires, sinon binaires auxquelles répondra la décision d’ avis .

La part active des parties et donc de l’avocat praticien s’arrête au seuil de la conviction emportée de la juridiction de la nécessité de saisir la Cour de cassation pour avis .

Les conditions de forme, l’office du juge

Attention, cette parte ne concerne pas le justiciable mais le juge du fond qui lit cet article et qui souhaiterait une aide pour soumettre la question à la Cour de Cassation.

Les conditions de forme qui conditionnent la saisine valable de la Cour et dont la description précise ressort de la lecture des articles L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire et 1031-1 et 1031-2 du Code de procédure civile.

I° Intention et contradiction

Aux termes même de l’article 1031-1 du Code de procédure civile la juridiction qui entend saisir la Cour d’une demande d’avis doit recueillir les observations des parties et du ministère public après les en avoir avisé (Cass. avis , 11 avr. 2019, n° 19-70.003 – Cass. avis , 26 oct. 2017, n° 17-70.010, P + B).

Cette obligation qui s’impose à la juridiction à peine d’irrecevabilité se trouve au croisement des principes cardinaux de la contradiction, dispositif et de l’impératif de bonne justice.

Il ne s’agit pas ici, pour les parties, de proposer ou d’orienter une réponse à la question posée. Si celles-ci souhaitent donner leur avis sur la réponse, il leur appartient de le faire devant la Cour de cassation en constituant avocat aux conseils (CPC, art. 1031-4). Le débat doit donc porter, à ce stade, sur les seuls critères de la procédure d’ avis pour démontrer si l’ avis envisagé est utile, régulier et la pertinence de la question posée afin de résoudre le litige.

Malgré la célérité de la procédure, la Cour de cassation devant statuer dans un délai de 3 mois (CPC, art. 1031-3), les parties peuvent indiquer à la juridiction toute contrainte rendant inopportune la transmission de la question (on rappellera que par nature certaines procédures d’urgence sont exclues du champ de la procédure d’ avis : Cass. avis , 20 nov. 2000, n° 02-00.016 : Bull. civ. avis , n° 10). Le juge conserve, à leur demande, la capacité de prendre des mesures d’urgence ou conservatoires (CPC, art. 1031-1, in fine).

II° Formalisation, transmission, information

Si le jugement ou de l’arrêt de saisine de la Cour de cassation est par principe insusceptible de recours, eu égard à sa nature particulière (Cass. avis , 29 oct. 2007, n° 07-00.014), la juridiction de saisine demeure débitrice d’une obligation de transparence et d’une certaine forme de diligence à l’égard des parties comme du ministère public.

Le greffe de la juridiction devra donc procéder à la notification de la décision de saisine pour avis par lettre recommandée à l’ensemble des parties, du ministère public, du Premier président de la cour d’appel et du procureur général lorsque la décision n’émane pas de la cour d’appel elle-même.

La preuve de cet envoi devant être transmisse au greffe de la Cour de cassation ainsi que la notification de la date de transmission du dossier aux termes de l’article 1031-2 du Code de procédure civile.

Détail pratique et d’importance compte tenu des délais postaux, en particulier pour des parties résidant à l’étranger, le bordereau d’accusé de réception des lettres recommandées avec accusé de réception (LRAR) n’a pas à être adressé au greffe de la Cour de cassation, le duplicata d’envoi suffisant en soi. On imagine mal en effet comment concilier le délai calendaire de 3 mois accordé à la Cour de cassation pour statuer et une obligation de preuve de ce que les parties ont été effectivement touchées par le recommandé.

Comment demander un avis à la Cour de Cassation ?

L’article L. 441-1 du Code de l’organisation judiciaire précise que seules les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent solliciter l’ avis de la Cour de cassation. La procédure de saisine pour avis a été étendue à la matière pénale par l’article 26 de la loi organique n° 2001-539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte fixe une formation particulière pour connaître des avis en matière pénale (COJ, art. L. 151-2).

L’avocat peut cependant provoquer cette saisine en adressant un courrier circonstancié au tribunal (et non pas le juge de la mise en état) pour le convaincre d’y recourir.

Certains tribunaux estiment que les observations doivent être formulées dans les conclusions au fond puisque les demandes d’avis à la Cour de cassation étant le cas échéant formées par le tribunal et non par le juge de la mise en état.

Je suis totalement en désaccord avec ce mode de fonctionnement puisque cela va à l’encontre du principe de célérité de la procédure d’avis. S’il faut attendre les conclusions au fond, c’est à dire que la phase de mise en état est terminée et que l’affaire est prête à être jugée sur le fond, rendant la demande d’avis bien moins intéressante.

Au contraire, le Tribunal a tout intérêt à mener parallèlement la mise en état ET la demande d’avis, ainsi une fois l’avis obtenu, le JME pourra clôturer sa mise en état qui aura continué son office durant la procédure d’avis.

Il existe chez certains magistrats une réelle aversion à mener en parallèle deux procédures juridiques en même temps.

On le voit par exemple en médiation : alors qu’il n’existe aucune justification à imposer une suspension de la procédure de mise en état lorsqu’une médiation a été ordonnée, c’est malheureusement systématiquement le cas, et très mal compris par les justiciables qui subissent un retard accru. Au contraire, c’est le meilleur moyen pour favoriser les manoeuvres dilatoires de la partie en défense. Il faut “en même temps” continuer la mise en état et aller de l’avant avec la médiation. Ainsi, en cas d’échec de la médiation, le dossier pourra immédiatement être jugé.

Médiation ou procès ? Les deux !

Recours

La décision du juge statuant sur la demande tendant à solliciter l’avis de la Cour de cassation est insusceptible de recours, qu’elle accueille la demande (CPC art. 1031-1) ou qu’elle la rejette (Cass. 1e civ. 27-11-2001 n° 00-05.105).

Statistiques

Sur les 33 demandes d’ avis déposées ces 3 dernières années en matière civile, seules 4 ont été déclarées irrecevables ce qui témoigne d’une volonté de la Cour de cassation d’investir pleinement ce mécanisme à l’instar des avis de la section contentieux du Conseil d’État. 

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