La gestion de l’indivision et les règles de majorité, qui peut décider quoi ?

Tableau récapitulatif des majorités des indivisaires requises en fonction du type d’acte

Type d’acteDéfinitionIllustrationMajorité requise
Acte conservatoire Initiatives nécessaires ou utiles à la conservation des biens indivis (actes matériels ou juridiques)– souscription d’une assurance incendie – mise en demeure adressée au preneur de payer ses loyers
action en liquidation d’une astreinte
– action en élagage
Pas de majorité requise
Chaque indivisaire peut agir seul
Acte d’administration Acte de gestion normale afin de conserver la valeur du bien indivis et de le faire fructifier (actes matériels ou juridiques)– mandat général d’administration
– réalisation de travaux d’amélioration
– conclusion ou renouvellement d’un bail d’habitation
– action en bornage
Majorité des deux tiers des droits indivis détenus par un seul ou plusieurs indivisaires
Acte de disposition Acte dit « grave » qui emporte disparition du bien indivis (vente, donation, etc.) ou qui porte atteinte à sa valeur– vente des meubles indivis pour payer les dettes et charges de l’indivision Majorité des deux tiers des droits indivis détenus par un seul ou plusieurs indivisaires
– vente d’immeubles indivis
– vente des meubles indivis
Unanimité, sauf autorisation judiciaire d’aliéner le bien indivis à la demande d’un ou plusieurs indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis
– conclusion ou renouvellement des baux portant sur un immeuble à usage agricole, commercial, industriel ou artisanal
– cession de titres de société indivis
Unanimité
Attention, des règles dérogatoires s’appliquent en Corse, en outre-mer et en Polynésie française.

Absence de personnalité morale de l’indivision

Une indivision n’a pas la personnalité morale, ce qui emporte plusieurs conséquences.

D’abord, un acte effectué en son nom est nul ; par exemple un congé (Cass. 3e civ. 3-11-2005 n° 04-15.381 FS-D : RJDA 3/06 n° 234) ou un bail (Cass. 3e civ. 16-3-2017 n° 16-13.063 FS-PB : BPAT 3/17 inf. 118). Cela dit, le cocontractant ne peut plus invoquer l’exception de nullité s’il a commencé à exécuter l’acte contesté (Cass. 3e civ. 16-3-2017 n° 16-13.063 précité qui applique au bail conclu par une indivision et exécuté par le locataire une solution constante, notamment Cass. com. 8-4-2014 n° 13-18.120 F-D : RJDA 7/14 n° 648 ; Cass. com. 13-5-2014 n° 12-28.013 F-PB : RJDA 10/14 n° 744).

Ensuite, les actes d’un indivisaire seul n’engagent pas l’indivision car la gestion de celle-ci doit être collégiale, sous réserve de certains aménagements relatifs aux actes conservatoires (n° 69100 s.). Un indivisaire est néanmoins autorisé à agir seul, mais pour la défense de ses droits indivis. Par exemple, il est recevable à :

– demander la nullité pour vice de son consentement d’un bail commercial qu’il a consenti avec ses coïndivisaires car il exerce alors une action personnelle (Cass. 1e civ. 6-5-2009 n° 07-20.635 FS-PB : D. 2009 AJ p. 1414) ;

– faire reconnaître son droit de copropriété indivis sur un cimetière familial (Cass. 3e civ. 19-6-2002 n° 01-01.201 FS-PB).

De la même manière, un nu-propriétaire indivis de parts sociales peut demander seul qu’un administrateur provisoire soit nommé pour réunir une assemblée d’associés car il a la qualité d’associé de la société (Cass. 3e civ. 17-1-2019 n° 17-26.695 FS-PBI : BPAT 2/19 inf. 75).

Enfin, l’action dirigée contre un seul indivisaire n’a pas d’effet à l’égard de l’indivision elle-même. Elle est recevable, mais la décision rendue ne vaut qu’à l’encontre du défendeur cité ; elle n’est pas opposable à ses coïndivisaires. Ainsi notamment pour une action en démolition d’une construction indivise (Cass. 1e civ. 12-6-2013 n° 11-23.137 FS-PBI : BPAT 5/13 inf. 190, 2e arrêt, AJ fam. 2013 p. 506 note A. de Guillenchmidt-Guignot) ou pour une action en paiement (Cass. 1e civ. 12-6-2013 n° 12-17.419 FS-PBI : BPAT 5/13 inf. 190, 3e arrêt ; Cass. 1e civ. 18-12-2013 n° 12-27.059 F-PB : RJDA 3/14 n° 281 ; Cass. 2e civ. 1-7-2021 n° 20-10.814 F-D : BPAT 5/21 inf. 229).

Par exception, la condamnation d’un indivisaire peut engager ses coïndivisaires si l’existence d’un mandat tacite de ses coïndivisaires est reconnue (Cass. 1e civ. 12-6-2013 n° 12-17.419 précité).

Actes conservatoires

Actes pouvant être faits par un indivisaire

Tout indivisaire peut prendre des mesures nécessaires à la conservation des biens indivis, même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence (C. civ. art. 815-2, al. 1).

Par « actes conservatoires », on entend les initiatives nécessaires ou utiles à la conservation des biens indivis. Il peut s’agir d’actes matériels (travaux de réparation, par exemple) ou juridiques (souscription d’un contrat d’assurance incendie d’un immeuble). Certaines actions en justice peuvent avoir le caractère d’actes conservatoires.

La mesure ne doit pas remettre en cause les droits des indivisaires et elle doit avoir une portée raisonnable. Notamment, son coût doit être proportionné aux enjeux et à la valeur des biens concernés. Toutefois, ces critères de portée et de coût raisonnables n’entrent pas en ligne de compte lorsqu’il s’agit de défendre la propriété indivise (voir n° 69101).

Évidemment, la mesure doit être au service de l’indivision et non dans l’intérêt d’un seul indivisaire (Cass. 3e civ. 10-5-2001 n° 99-17.901).

Constituent par exemple des mesures conservatoires :

  • toute action en revendication de la propriété indivise et en contestation des actes passés en violation de ce droit. Le caractère conservatoire de telles actions a été confirmé même si elles devaient avoir des conséquences très lourdes pour les indivisaires, et notamment représenter un coût exorbitant (Cass. 3e civ. 24-10-2019 n° 18-20.068 F-PBI : BPAT 1/20 inf. 31). Précédemment, la possibilité pour un indivisaire d’agir seul avait déjà été reconnue à propos d’une action en revendication d’un bien dont un tiers se prétend propriétaire (Cass. 3e civ. 17-4-1991 n° 89-15.898 : Bull. civ. III n° 124, RJDA 6/91 n° 529 ; Cass. 1e civ. 5-11-2008 n° 07-15.374 F-PB : BPAT 1/09 inf. 31) ou d’une servitude de passage (Cass. 3e civ. 4-12-1991 n° 89-19.989 : Bull. civ. III n° 305) ;
  • la réparation, pour un coût raisonnable, d’une toiture dont les tuiles menacent de tomber dans une rue fréquentée ;
  • la souscription d’un contrat d’assurance incendie pour un immeuble ;
  • le renouvellement d’une inscription hypothécaire ;
  • la conclusion d’une convention d’occupation et d’exploitation précaire, qui assure le maintien en bon état d’entretien ou la mise en valeur jusqu’à sa vente d’une propriété rurale (Cass. 1e civ. 30-9-2009 n° 08-16.191 F-D) ;
  • la mise en demeure adressée au preneur rural de payer ses loyers (Cass. 3e civ. 31-10-2007 n° 06-18.338 FS-PB) ;
  • la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire du bail. Ainsi jugé pour un bail commercial (Cass. 1e civ. 9-7-2014 n° 13-21.463 F-PB : BPAT 5/14 inf. 206) et un bail d’habitation (Cass. 3e civ. 4-2-2014 n° 12-13.653 F-D : RJDA 5/14 n° 409). Mais sur l’action en résiliation, voir n° 69135 ;
  • l’action en paiement d’une indemnité de résiliation contractuelle (Cass. 1e civ. 10-9-2015 n° 14-24.690 FS-PB : RJDA 12/15 n° 876) ;
  • l’action en liquidation d’une astreinte (Cass. 1e civ. 23-9-2015 n° 14-19.098 F-PB : D. 2016 pan. p. 1534 obs. D. Noguéro, Loyers et copr. 2015 comm. n° 223 note B. Vial-Pedroletti ; Cass. 3e civ. 28-5-2020 n° 19-14.156 FS-PBI : BPAT 4/20 inf. 133) ;
  • l’action en expulsion d’un occupant sans droit ni titre et en paiement d’une indemnité d’occupation (Cass. 1e civ. 4-7-2012 n° 10-21.967 F-PBI : BPAT 5/12 inf. 264 ; Cass. 1e civ. 16-9-2014 n° 13-20.079 F-D : RJDA 2/15 n° 149) ;
  • l’action en élagage, qui a pour objet la conservation des droits des indivisaires sur le fonds desquels s’étendent les branches des arbres du voisin (Cass. 3e civ. 18-2-2021 n° 20-11.080 F-D : BPAT 3/21 inf. 137) ;
  • la déclaration d’une créance de l’indivision à la procédure collective du débiteur de l’indivision (Cass. com. 11-6-2003 n° 00-11.913 FS-P : RJDA 12/03 n° 1206 ; Cass. 1e civ. 14-3-2012 n° 10-10.006 F-PBI).

Jugé au contraire que ne constituent pas des mesures conservatoires :

  • – l’installation d’une alarme lorsque la mise en sécurité des biens peut être assurée par d’autres moyens plus économiques ;
  • – l’action exercée contre le locataire d’un bien indivis ayant réalisé des travaux sans autorisation, dès lors que ces travaux ne mettaient pas le bien en péril (Cass. 3e civ. 13-2-1991 n° 89-14.958 : Bull. civ. III n° 56) ;
  • – l’action tendant à la suppression de poutres placées sur un mur non mitoyen, alors que ces poutres ne compromettent pas la solidité du mur et qu’elles n’entraînent pas un risque d’acquisition de mitoyenneté par prescription (Cass. 3e civ. 25-1-1983 n° 80-15.132 : Bull. civ. III n° 24).

Financement des actions conservatoires

Un indivisaire peut financer l’action conservatoire qu’il entreprend de trois façons.

  1. Il peut employer les fonds de l’indivision qu’il détient. Il est réputé en avoir la libre disposition à l’égard des tiers (C. civ. art. 815-2, al. 2), ce qui interdit à toute personne, indivisaire ou non, de remettre en cause le paiement effectué au profit d’un tiers.
  2. Si les fonds de l’indivision sont insuffisants, l’indivisaire peut contraindre ses coïndivisaires à financer avec lui les dépenses nécessaires (C. civ. art. 815-2, al. 3). La charge de cette participation est en principe répartie proportionnellement aux droits de chacun dans l’indivision.
  3. Enfin, l’indivisaire peut financer seul la mesure conservatoire et faire valoir ensuite sa créance sur l’indivision (n° 69470 s.).

Cas particulier des biens grevés d’usufruit

Le pouvoir des indivisaires de prendre des mesures conservatoires est opposable à l’usufruitier dans la mesure où celui-ci est tenu des réparations (C. civ. art. 815-2, al. 4). Autrement dit, les mesures conservatoires qui portent sur des réparations incombant normalement à l’usufruitier (réparations d’entretien ou grosses réparations rendues nécessaires par le défaut d’entretien) sont opposables à ce dernier. Il doit en supporter les conséquences, c’est-à-dire non seulement l’éventuel préjudice de jouissance, mais aussi le coût si les fonds indivis sont insuffisants.

Représentation des indivisaires

Interventions judiciaires

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