La séparation de corps est un mécanisme qui permet de demeurer dans le mariage tout en en atténuant la vigueur. Plus prosaïquement, lorsque les époux obtiennent par décision judiciaire leur séparation de corps, ils demeurent mariés mais dispensés uniquement de l’obligation de vie commune.
La séparation de corps peut être rapprochée du divorce en ce que ses cas d’ouverture sont les mêmes. En revanche, elle s’en éloigne clairement s’agissant de ses effets et de ses potentielles métamorphoses.
Présentant les mêmes inconvénients que le divorce en matière de procédure et de coût (l’avocat est obligatoire) sans pour autant permettre aux époux de refaire leur vie, elle est en pratique peu utilisée.
Les voies de la séparation de corps : comment se séparer de corps ?
La séparation de corps peut être faîte :
- par consentement mutuel (judiciaire ou constatée par une convention sous signature privée déposée au rang des minutes d’un notaire)
- par simple acceptation du principe de la séparation de corps
- sur le fondement de la faute de l’un des époux
- pour altération définitive du lien conjugal.
Les effets de la séparation de corps
La séparation de corps ne dissout pas le mariage mais en anesthésie le devoir de cohabitation (C. civ., art. 299). Les époux peuvent donc vivre séparément et il leur est possible de refuser de recevoir l’autre à leur domicile.
Aux termes de l’article 299 du Code civil : ” la séparation de corps ne dissout pas le mariage mais elle met fin au devoir de cohabitation “.
Comme le mariage demeure, les époux peuvent conserver l’usage du nom de l’autre (C. civ., art. 300) et restent obligés par le devoir de fidélité et le devoir d’assistance (oui parfois notre droit reste irrigué de pudibonderie).
Naturellement, un nouveau mariage est exclu, ce qui n’est qu’une application particulière de la règle classique de prohibition de la bigamie.
La vocation successorale ne cesse pas d’exister (C. civ., art. 301).
La séparation de corps emporte en revanche séparation de biens (C. civ., art. 302, al. 1).
Aux termes de l’ article 262-1 du Code civil :
“La convention ou le jugement de divorce prend effet dans les rapports entre les époux, en ce qui concerne leurs biens :
- lorsqu’il est constaté par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire, à la date à laquelle la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce acquiert force exécutoire, à moins que cette convention n’en stipule autrement ;
- lorsqu’il est prononcé par consentement mutuel dans le cas prévu au 1° de l’article 229-2 [un mineur demande son audition par le juge], à la date de l’homologation de la convention réglant l’ensemble des conséquences du divorce, à moins que celle-ci n’en dispose autrement ;
- lorsqu’il est prononcé pour acceptation du principe de la rupture du mariage, pour altération définitive du lien conjugal ou pour faute, à la date de la demande en divorce.”
À l’égard des enfants, la séparation de corps a les mêmes effets que le divorce.
Les effets de la séparation de corps sur les rapports personnels entre époux
Le devoir de fidélité
À la différence du divorce, la séparation de corps ne permet pas aux époux de « refaire » leur vie. Il leur est interdit de se remarier ou de se pacser sous peine de bigamie et ils restent soumis au devoir de fidélité.
L’adultère commis peut justifier une demande reconventionnelle ou principale en divorce pour faute.
Comme en matière de divorce, la gravité de la faute est laissée à l’appréciation du tribunal, l’intensité du devoir de fidélité pouvant être différemment considérée. Ainsi, l’adultère du mari commis neuf ans après le jugement de séparation de corps n’est pas fautif (Cass. 2e civ. 19-2-1997 n° 96-10.412).
Malgré la persistance du devoir de fidélité, la présomption de paternité du mari ne joue pas (C. civ. art. 313). L’enfant conçu en période de séparation de corps n’a donc pas pour père présumé le mari de sa mère.
Nom des époux
Aux termes de l’article 300 du code civil “Chacun des époux séparés conserve l’usage du nom de l’autre. Toutefois, la convention de séparation de corps par acte sous signature privée contresigné par avocats déposé au rang des minutes d’un notaire, le jugement de séparation de corps ou un jugement postérieur peut, compte tenu des intérêts respectifs des époux, le leur interdire.”
Le mariage n’étant pas dissous, chacun des époux conserve l’usage du nom de l’autre. Toutefois, la convention déposée au rang des minutes d’un notaire, le jugement de séparation de corps ou un jugement postérieur peut, compte tenu de l’intérêt des époux, le leur interdire (C. civ. art. 300).
Qualité d’héritier
Aux termes de l’article 301 du code civil « En cas de décès de l’un des époux séparés de corps, l’autre époux conserve les droits que la loi accorde au conjoint survivant. En cas de séparation de corps par consentement mutuel, les époux peuvent inclure dans leur convention une renonciation aux droits successoraux qui leur sont conférés par les articles 756 à 757-3 et 764 à 766. »
Sur le plan successoral, l’époux séparé de corps conserve sa qualité d’héritier (C. civ. art. 301 et 732).
Toutefois, en cas de séparation par consentement mutuel, les époux peuvent valablement renoncer, dans leur convention, à leurs droits successoraux (C. civ. art. 301). Seule limite : il n’est pas possible de renoncer au droit de jouissance temporaire sur le logement ni au droit à pension du conjoint dans le besoin, qui sont d’ordre public.
Les effets sur les relations financières entre époux
Régime matrimonial des époux
Aux termes de l’article 302 du code civil, “La séparation de corps entraîne toujours séparation de biens.“
La séparation de corps ne permet pas toujours d’éviter le partage du patrimoine des époux car elle entraîne toujours l’application du régime matrimonial de la séparation de biens (C. civ. art. 302).
Les époux initialement mariés sous un régime de communauté doivent donc faire un état de leur patrimoine commun et procéder au partage.
Ceux mariés sous le régime de la séparation de biens ne sont pas tenus de liquider leur patrimoine, leur régime perdurant alors jusqu’à la dissolution du mariage par divorce ou décès. Toutefois, certaines circonstances peuvent rendre cette liquidation nécessaire : cessation de la collaboration bénévole à l’entreprise d’un époux, existence d’avances ou de prêts entre les époux, contestation de la propriété d’un bien, etc.
Comme en matière de divorce, la date d’effet de la séparation de corps en ce qui concerne les biens peut être reportée, à la demande des époux, à la date à laquelle ils ont cessé de cohabiter et de collaborer (C. civ. art. 262 à 262-2 ; Cass. 1e civ. 12-6-2014 n° 13-16.044 F-PB).
En l’absence de règles particulières, le sort des donations et avantages matrimoniaux consentis entre les époux obéit aux mêmes règles qu’en cas de divorce.
Survie du devoir de secours : versement d’une pension alimentaire
Aux termes de l’article 303 du code civil :
“La séparation de corps laisse subsister le devoir de secours ; le jugement qui la prononce ou un jugement postérieur fixe la pension alimentaire qui est due à l’époux dans le besoin. La pension alimentaire peut aussi être prévue par la convention de séparation de corps par consentement mutuel.
Cette pension est attribuée sans considération des torts. L’époux débiteur peut néanmoins invoquer, s’il y a lieu, les dispositions de l’article 207, alinéa 2.
Cette pension est soumise aux règles des obligations alimentaires.
Toutefois, lorsque la consistance des biens de l’époux débiteur s’y prête, la pension alimentaire est remplacée, en tout ou partie, par la constitution d’un capital, selon les règles des articles 274 à 275-1,277 et 281. Si ce capital devient insuffisant pour couvrir les besoins du créancier, celui-ci peut demander un complément sous forme de pension alimentaire.
Au titre de l’exécution du devoir de secours (qui subsiste entre les époux, la séparation de corps peut donner lieu au versement d’une pension alimentaire (C. civ. art. 303).”
Critères d’attribution
Les juges tiennent compte des besoins de l’époux demandeur. Ces besoins sont appréciés au jour où le juge statue (Cass. 1e civ. 8-2-2005 n° 03-15.441 F-D).
En principe, le montant de la pension alimentaire devrait permettre d’assurer la simple subsistance de l’époux créancier. Toutefois, les juges ont tendance à aller au-delà de cette interprétation stricte du devoir de secours, estimant que la pension alimentaire doit permettre à l’époux créancier de conserver, autant que possible, son niveau de vie antérieur à la séparation de corps.
Les besoins de l’époux créancier s’apprécient au regard de ses revenus personnels et de sa capacité à faire face lui-même à ses besoins. En revanche, il n’est pas tenu compte des sommes revenant à l’époux à la suite du partage de la communauté (si elle a lieu).
Le montant de la pension alimentaire est également fixé en fonction des ressources de l’époux créancier.
Aucune pension alimentaire ne sera due si les époux ont des situations financières identiques.
La pension alimentaire est en principe attribuée sans considération des torts dans la séparation (C. civ. art. 303, al. 1). La demande de pension alimentaire formée par l’un des époux ne peut donc pas être rejetée au seul motif que la séparation de corps a été prononcée aux torts partagés des époux. Il en va de même, en principe, lorsque l’époux demandeur s’est vu imputer les torts exclusifs de la séparation de corps. Cependant, s’agissant d’une obligation de nature alimentaire, l’époux tenu au versement de la pension alimentaire peut demander la déchéance de l’époux créancier de son droit à aliments si ce dernier a gravement manqué à ses obligations (C. civ. art. 303, al. 1 qui renvoie à art. 207, al. 2). Les manquements invoqués sont retenus s’ils sont suffisamment graves. Par exemple, l’obligation du mari a été réduite en raison des nombreux abandons du foyer par sa femme (Cass. 2e civ. 11-2-1981 n° 88-13.211 : Bull. civ. II n° 34) – cette jurisprudence, rendue à des années lumières de notre époque si on prend les changements sociétaux récents, a peu de chances d’être maintenu.
Révision de la pension alimentaire
Comme pour toute pension alimentaire, le jugement ou la convention qui fixe son montant peut prévoir une clause d’indexation (C. civ. art. 208, al. 2).
La pension est révisable à la hausse ou à la baisse, à la demande d’un époux, au regard de l’évolution des ressources et des charges respectives de chacun d’eux et ce même lorsqu’ils ont eux-mêmes fixé le montant de la pension. Le changement de situation résulte, par exemple, du chômage d’un époux, de son départ en retraite ou au contraire de sa promotion professionnelle.
Le concubinage est pris en compte pour le calcul de la pension alimentaire. Le concubinage de l’époux créancier peut emporter décharge totale ou partielle du débiteur au titre du manquement au devoir de fidélité (n° 10625).
Capital
Lorsque la consistance des biens de l’époux débiteur s’y prête, la pension alimentaire est remplacée, en tout ou partie, par la constitution d’un capital, selon les règles applicables aux prestations compensatoires (C. civ. art. 303, al. 4).
L’attribution d’un capital n’a pas un caractère subsidiaire par rapport à l’attribution d’une pension alimentaire. Ainsi, l’épouse séparée de corps peut se voir attribuer, outre une pension alimentaire, l’usufruit d’un immeuble commun, au titre de l’obligation de secours, la consistance des biens de l’époux débiteur le permettant (Cass. 2e civ. 21-7-1986 n° 84-13.368 : Bull. civ. II n° 123). De la même façon, l’épouse séparée de corps peut se voir attribuer une pension alimentaire constituée par l’attribution de l’usufruit d’un bien immobilier, le paiement d’un capital de 300 000 € et le paiement d’une somme mensuelle de 1 000 € (Cass. 1e civ. 18-12-2013 n° 12-29.920 F-PB : AJ fam. 2014 p. 242 obs. S. Thouret).
Si ce capital devient insuffisant pour couvrir les besoins du créancier, celui-ci peut demander un complément sous forme de pension alimentaire (C. civ. art. 303, al. 4).
Indemnisation des préjudices
Comme en matière de divorce, le juge peut accorder des dommages-intérêts à un époux victime d’un préjudice particulier :
- les préjudices réparables au titre l’article 266 du Code civil correspondent aux préjudices tant matériels que moraux, d’une particulière gravité, subis par un époux du fait du prononcé de la séparation de corps et du relâchement du lien matrimonial qui en résulte. La Cour de Cassation a confirmé que les dommages intérêts de l’article 266 du code civil pouvaient être prononcés lors d’une séparation de corps ( Cass. 1e civ. 5-1-2012 n° 10-21.838 F-D)
- l’époux qui subit des préjudices matériels et moraux annexes à la séparation de corps peut demander réparation à son conjoint sur le fondement de la responsabilité délictuelle (C. civ. art. 1240).
Une étude complète des dommages et intérêts est disponible ici :
3.3. La fin de la séparation de corps
Par définition, la séparation de corps laisse subsister le mariage. Celui-ci peut donc encore être dissous par un divorce ou par la mort de l’un des époux. Dans les deux cas et par pure logique, la séparation disparaît.
La conversion de la séparation de corps en divorce
Plus précisément s’agissant du divorce, il peut être demandé au juge une conversion de la séparation de corps en divorce. Cette conversion peut se faire de deux manières :
- par volonté unilatérale : celle-ci n’est possible que si la séparation de corps a duré au moins 2 ans. Par ailleurs, elle n’est pas possible pour les séparations de corps obtenues par consentement mutuel (C. civ., art. 307, al. 2). La conversion de la séparation de corps par consentement mutuel en divorce peut donc être dite « tubulaire » : elle ne peut conduire qu’à un divorce de même nature.
- par consentement mutuel : celle-ci est possible quelle que soit la séparation de corps (on peut ainsi divorcer par consentement mutuel alors même que la séparation de corps aurait été obtenue pour faute) et aucun délai minimal de durée de la séparation de corps n’est exigé.
Dans les deux cas, la séparation de corps se métamorphosant en divorce, ce sont les effets de celui-ci qui en prennent le relais.
La demande principale en divorce
Que se passe-t-il si une séparation de corps par consentement mutuel a eu lieu mais que l’un des époux refuse ensuite de procéder à la conversion en divorce ?
Il faut alors faire une demande en divorce sans demander la conversion de la séparation de corps.
Les art. 306 et 307 n’excluent pas la possibilité d’une demande principale en divorce formée pour d’autres causes après le jugement de séparation de corps. ● Civ. 2e, 11 oct. 1989:● 11 déc. 1991, no 90-13.374
Sauf requête conjointe en conversion en divorce d’une séparation de corps prononcée sur demande conjointe, une demande en divorce pour faute ne peut être fondée que sur des faits postérieurs au jugement de séparation de corps. ● Civ. 2e, 26 juin 1996, no 94-14.331 P: RTD civ. 1996. 883, obs. Hauser.
Réconciliation des époux (on peut rêver !)
Parfois, une séparation de corps aboutit à un résultat plus heureux et les époux se réconcilient et reprennent la vie commune. Pour être opposable aux tiers, cette réconciliation doit être constatée par un acte notarié ou faire l’objet d’une déclaration à l’officier d’état civil. Cependant, la séparation de biens issue de la séparation de corps subsiste sauf à ce que les époux adoptent un nouveau régime matrimonial dans le respect des règles qui régissent cette matière (C. civ., art. 305).