Pourquoi faire une action en simulation ?
Un créancier ne peut pas saisir un meuble ou un immeuble appartenant à A (par exemple une société) pour régler la créance due par B (le dirigeant d’entreprise, à moins d’obtenir que ce meuble ou immeuble soit jugé comme appartenant à B.
Comment faire ?
Grâce à l’action en simulation qui permet de faire abstraction de la personne interposée et réintégrer un bien dans le patrimoine de son débiteur.
La théorie de la simulation
Lorsque les parties ont conclu un contrat apparent qui dissimule un contrat occulte, ce dernier (aussi appelé « contre-lettre ») est valable entre les parties mais il n’est pas opposable aux tiers, qui peuvent néanmoins s’en prévaloir (C. civ. art. 1201 ; ex-art. 1321). Les tiers qui souhaitent se prévaloir du contrat occulte peuvent exercer une action en déclaration de simulation (Cass. 3e civ. 31-3-2010 n° 08-16.693 F-D : RJDA 10/10 n° 904).
La simulation peut notamment porter sur l’identité d’une des parties au contrat ; on parle alors d’interposition de personnes (par exemple, Cass. 1e civ. 28-11-2000 n° 98-14.618 P : Bull. civ. I n° 311) ou de prête-nom (Cass. 1e civ. 11-2-1976 nos 74-13.003 et 74-13.091 : Bull. civ. I n° 64). Dans certains cas, la société interposée peut être fictive, ce qui justifie que la simulation soit retenue par les juges (Cass. 3e civ. 18-12-2007 n° 06-21.897 F-D : RJDA 4/08 n° 367). La Cour de cassation précise que la fictivité de la société interposée n’est pas pour autant une condition de la simulation.
Les conditions de l’action en déclaration de simulation
L’article 1321 du code civil vise un aspect particulier de la simulation : les contre-lettres. Il prévoit que les contre-lettres n’ont point d’effet contre les tiers. Sont ainsi protégés les tiers dont les intérêts sont lésés par l’acte secret. Mais il existe des tiers qui ont intérêt à écarter l’acte apparent qui leur nuit.
En pratique, la contre-lettre n’a pas d’existence matérielle et la jurisprudence admet que la preuve de la contre-lettre n’a pas à être apportée par le demandeur, en vertu du principe selon lequel la fraude fait échec à toutes les règles (cass civ 1ère, 19 sept 2007, n°06-14550).
Les tiers peuvent donc invoquer l’acte ostensible ou se prévaloir de l’acte secret. Toutefois, en cas de conflit entre des tiers invoquant les uns l’acte apparent et les autres l’acte secret, la jurisprudence donne la préférence à ceux qui fondent leur droit sur l’acte apparent.
Les conditions d’exercice de l’action en déclaration de simulation
Contrairement à l’action paulienne, les conditions d’exercice de l’action en déclaration de simulation sont très larges.
Si les deux actions ont entre elle des liens naturels, puisque la simulation peut recouvrir une fraude aux droits des tiers, l’une ne saurait se substituer à l’autre.
L’action en déclaration de simulation tend à démontrer qu’un acte a créé une fausse apparence. Elle est reconnue comme une action autonome.
La simulation porte, pour l’essentiel, sur le financement du bien dont le créancier entend faire prononcer la réintégration dans le patrimoine du débiteur
Le demandeur doit avoir un intérêt à agir mais n’a pas à justifier que la simulation contestée lui a causé un préjudice (Cass. 1ère civ., 17 septembre 2003, n° 01-12925, ; Cass.civ. 19 mai 1942).
L’action peut donc être intentée par un tiers dont la créance a pris naissance après l’acte argué de simulation (Cass. 1ère civ., 17 septembre 2003, n° 01-12925).
Il ne lui est pas nécessaire de prouver que la simulation a un but frauduleux (Cass. 3ème civ., 4 juin 2003, n° 02-12275 ; Cass. 1ère civ., 7 février 1967) ou l’intention de nuire (Cass, civ, 1ère, 17 septembre 2003 n°01-12925).
Il n’y a pas davantage à prouver la complicité du tiers ayant traité avec le débiteur.
L’acte secret et l’acte ostensible ne sont pas nécessairement contemporains (acte secret précédant l’acte contesté :Cass. 1ère civ., 2 juin 1970, n° 69-11340).
La preuve de la simulation
La preuve de la simulation incombe au demandeur.
Le demandeur peut faire la preuve de la simulation par tous moyens et notamment par simples présomptions (Cass. com. 30 juin 1987, n° 85-15535 ; 22 mars 1988, n° 87-10317, Cass. 3ème civ. 13 septembre 2005, n° 03-10887).
Lorsqu’il s’agit d’un acte authentique, la jurisprudence considère que la déclaration de simulation, qui n’est pas par elle-même une cause de nullité de l’acte (Cass. civ., 11 juillet 1979, n° 78-11127 ; Cass. 1ère civ., 4 mars 1981, n° 80-14123 ), n’est pas subordonnée à l’engagement d’une procédure d’inscription en faux puisqu’elle aboutit à contester la sincérité du document et non sa matérialité.
Cas d’application de l’action en déclaration de simulation
Peuvent être visés par une action en déclaration de simulation :
- l’acquisition d’un immeuble par une SCI constituée par les enfants d’un débiteur à l’aide des deniers fournis par celui-ci (Cass. 3ème civ., 13 septembre 2005, n° 03-10887), les enfants étant soit solvables, soit démunis de ressources personnelles ;
- l’acquisition d’un immeuble par la concubine d’un redevable à l’aide d’un prêt remboursé par celui-ci (Cass. 1ère civ., 17 septembre 2003, n° 01-12925) ;
- l’acquisition d’un immeuble par les enfants d’un débiteur à l’aide des deniers fournis par celui-ci (Cass.civ., 11 février 1976, n°74-13003 et 74-13091 ) ;
- la confusion des patrimoines entre la SCI, qui n’avait qu’une existence de façade, et le débiteur (Cass .3ème civ., 3 décembre 2002, n° 01-12421) ;
- l’acquisition d’un immeuble par l’épouse séparée de biens d’un redevable, au moyen de deniers fournis indirectement par ce dernier alors que l’épouse disposerait elle-même de revenus insuffisants pour en assurer la charge ;
- un bail par lequel un acquéreur aux enchères publiques des meubles d’un débiteur donne ne location ces mêmes meubles à ce même débiteur ;
- l’achat d’un immeuble par un contribuable au nom de sa fille mineure ;
- la constitution d’une société au moyen d’apports sous-évalués à une date antérieure à la période d’imposition (Cass., 27 février 1973, n° 71-14693) ;
- la vente d’un fonds de commerce consentie par un redevable à son fils, moyennant le paiement d’une rente viagère, le caractère fictif de cette vente découlant de la connaissance par le vendeur de sa dette fiscale lors de la cession, de la modicité du prix stipulé, de l’absence de garanties au profit du vendeur, de l’inexécution de la convention par l’acquéreur ;
- la donation d’un fonds de commerce faite par un redevable à un de ses enfants, la simulation découlant du caractère verbal de la donation et de l’avantage inexpliqué fait à un seul des enfants ;
- la vente consentie par deux redevables, sous le coup de poursuites, à l’un de leurs parents, de véhicules automobiles, alors que le prétendu acquéreur n’en avait pas l’utilisation et les a laissés à la disposition des vendeurs ;
- la déclaration de « command » faite, lors de la vente d’un immeuble par le redevable adjudicataire, alors que l’immeuble acquis n’avait pu être payé que des deniers de ce redevable.
Remarque: la déclaration de « command » est une technique qui, dans un contrat de vente, permet de différer la révélation de l’identité de l ‘acquéreur.
Dans un arrêt très récent (Cass. com. 5-4-2023 n° 21-21.881), l’existence d’une simulation par interposition d’acquéreur, laquelle n’est pas incompatible avec l’exercice d’une activité réelle de la société interposée, résultait des circonstances suivantes :
- l’immeuble avait fait l’objet en juillet 2012 d’une promesse de vente au bénéfice du dirigeant, avec faculté de substitution, moyennant le prix de 15 200 000 € ; le 1er octobre 2012, la vente avait été conclue avec la société, substituée dans les droits du dirigeant ; cette société, immatriculée le jour même de la vente, avait été constituée entre le dirigeant, détenteur de 99 % du capital social (lequel ne s’élevait qu’à 10 000 €), et son fils ;
- si un prêt de 16 000 000 € avait été consenti en septembre 2012 à la société pour trois ans, le remboursement du capital étant stipulé in fine et les échéances portant sur les intérêts trimestriels à terme échu, la société ne présentait pas les garanties permettant l’octroi d’un tel prêt et n’était pas en mesure d’acquitter les intérêts intermédiaires ; le dirigeant s’était porté caution personnelle et solidaire (à hauteur de 17 600 000 €) et avait accepté de déléguer partiellement au profit de la banque des créances d’assurances-vie (à hauteur de 16 650 000 €), aucune hypothèque n’étant inscrite sur l’immeuble acquis ; le remboursement des échéances du prêt, en cas de défaillance de la société, reposait donc uniquement sur le dirigeant ;
- une dette fiscale importante à la charge du dirigeant préexistait à l’acquisition de l’immeuble ; si le dirigeant détenait dans son patrimoine des parts de la société, dont la valeur correspondait à celle de l’immeuble diminué de l’encours du prêt, cet immeuble était, sauf à voir aboutir l’action en déclaration de simulation, exclu du gage de ses créanciers ;
- d’octobre 2012 à novembre 2013, les seules opérations portées au crédit du compte bancaire de la société étaient des virements émis par le dirigeant depuis son compte personnel juste avant ou après le prélèvement des échéances du prêt immobilier ; si, durant la période de location de l’immeuble (de novembre 2013 à septembre 2014), le compte de la société avait été alimenté par les loyers mensuels, ces derniers étaient insuffisants pour assurer le remboursement des échéances du prêt et le règlement des charges d’entretien, le dirigeant ayant continué à faire d’importants virements à la société et certaines des factures liées à l’immeuble étant établies à son nom ;
- en 2013, le dirigeant et son fils avaient projeté de céder toutes les parts de la société pour 10 000 € à une société luxembourgeoise, détenue indirectement par le conjoint du dirigeant, mais la cession n’avait pas abouti.
Peu importait que le prix d’achat de l’immeuble a été payé par la société au moyen d’un prêt bancaire qu’elle a en partie remboursé grâce aux loyers perçus après la mise en location de l’immeuble ; la société avait donc une activité réelle conforme à son objet social.
La procédure de l’action en déclaration de simulation
L’action en déclaration de simulation est engagée par voie d’ assignation devant le tribunal judiciaire du lieu où demeure le redevable. Cette assignation est notifiée aux défendeurs :le redevable et le tiers ayant contracté avec lui. Si le défendeur n’a ni domicile ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où il demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger (code de procédure civile, art. 42).
Elle nécessite le recours à un avocat.
Lorsqu’elle s’attaque à des actes de cession ou de disposition de biens immobiliers, l’assignation introductive de l’action doit être publiée au bureau des hypothèques de la situation de l’immeuble (art. 28, 4°c et 30, § 5, du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière. Cette publication est exigée sous peine de l’irrecevabilité de l’action prononcée par le tribunal (art. 30-5 du même décret).
Cependant, la Cour de cassation a estimé que cette publication n’a qu’un caractère indicatif et n’est pas opposable aux tiers (Cass. 3ème civ., 25 janvier 1983, n° 81-11426 et 81-11841).
La publicité de la demande ne constitue donc pas, par elle-même, une protection pour le créancier poursuivant.
La prescription de l’action en déclaration de simulation
l’article 2224 du code civil s’applique à l’action en déclaration de simulation qui se prescrit par cinq ans.
Quelle responsabilité pour le complice ?
La personne qui participe sciemment à une interposition afin de faire échapper un bien aux poursuites de créanciers s’expose à payer des dommages-intérêts à ces derniers (Cass. 3e civ. 31-3-2010 précité).
Quelle différence entre l’action en simulation et l’action paulienne ?
La simulation peut aussi être sanctionnée au titre de la fraude aux créanciers (C. civ. art. 1341-2 ; Cass. 3e civ. 31-3-2010). Mais l’action paulienne alors ouverte aux créanciers, qui tend à leur rendre inopposable l’acte apparent, est soumise à des conditions de mise en œuvre plus restrictives que l’action en déclaration de simulation (créance certaine antérieure à l’acte attaqué et intention du débiteur de nuire à ses créanciers).
L’action en déclaration de simulation permet d’obtenir la réintégration dans le patrimoine d’un débiteur du bien apparemment soustrait de son gage alors que l’action paulienne permet au créancier de faire déclarer inopposable à son égard un acte d’appauvrissement du débiteur sans remettre en cause le droit de propriété du tiers.
l’action paulienne suppose une fraude quand l’action en déclaration de simulation suppose plus simplement l’existence d’un acte simulé, même antérieur à la créance.