La société et le démembrement (usufruit, nue-propriété) : qui est associé ?

Qui est associé entre l’usufruitier et le nu-propriétaire ?

Le nu-propriétaire : associé

Lorsque les droits sociaux sont démembrés, seul le nu-propriétaire a la qualité d’associé (Cass. com. avis 1-12-2021 no 20-15.164 FS-D : BRDA 2/22 inf. 1).

L’usufruitier : pas associé

L’usufruitier n’a pas la qualité d’associé.

Dépourvu de la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire, l’usufruitier peut toutefois provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. (Cass. 3e civ. 16-2-2022 no 20-15.164 FS-B)

Les droits de l’usufruitier

Bien que dépourvu de la qualité d’associé, qui n’appartient qu’au nu-propriétaire (Cass. com. avis 1-12-2021 no 20-15.164 FS-D : RJDA 2/22 no 79 ; Cass. 3e civ. 16-2-2022 no 20-15.164 FS-B : RJDA 5/22 no 273 ; Cass. com. 30-11-2022 no 20-18.884 FS-B : BRDA 1/23 inf. 3), l’usufruitier exerce certaines des prérogatives attachées à cette qualité.

Le droit de vote limité

L’usufruitier dispose d’un

  • droit de vote pour les décisions concernant l’affectation des bénéfices dans les sociétés autres que les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions (C. civ. art. 1844, al. 3),
  • droit de vote dans les assemblées ordinaires pour les sociétés anonymes et les sociétés en commandite par actions (art. L 225-110, al. 1 sur renvoi, pour la SCA, de l’art. L 226-1, al. 2),
  • droit de participer aux décisions collectives (C. civ. art. 1844, al. 1).

Le droit de provoquer une délibération susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance

La Cour de cassation considère également que l’usufruitier peut provoquer une délibération sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des parts ou actions (Cass. com. avis 1-12-2021 no 20-15.164 FS-D : RJDA 2/22 no 79 et Cass. 3e civ. 16-2-2022 no 20-15.164 FS-B : RJDA 5/22 no 273).

Le droit d’agir en annulation d’une décision d’AG affectant son droit de jouissance

 L’usufruitier peut contester les décisions collectives pouvant affecter son droit de jouissance. Nonobstant toute stipulation statutaire contraire, l’usufruitier de droits sociaux peut agir en nullité de toute décision collective susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. (Cass. 3e civ. 11-7-2024 no 23-10.013 FS-B).

L’usufruitier peut demander l’annulation d’une décision susceptible d’avoir un tel effet. Ce droit n’est donc pas limité aux décisions pour lesquelles le droit de vote est réservé à l’usufruitier, la Cour de cassation ayant choisi un critère plus large – l’incidence directe sur le droit de jouissance –, étant rappelé que ce critère est source d’interprétation et donc de difficultés (voir R. Mortier, « La Cour de cassation tranche enfin : l’usufruitier n’est pas associé ! » : BRDA 2/22 inf. 29).

D’autre part, les statuts ne peuvent pas prévoir une stipulation générale privant l’usufruit du droit de contester toute décision car parmi ces décisions, certaines pourront avoir une incidence directe sur son droit de jouissance. Ainsi en dépit d’une telle stipulation (qui sera privée d’effet), l’usufruitier conserve le droit d’agir, la recevabilité de son action ne pouvant être écartée pour ce seul motif. En revanche, restera entière la question du bien-fondé de sa demande et donc l’appréciation de l’atteinte directe portée à son droit de jouissance, l’examen de la recevabilité de l’action étant distincte de celui du bien-fondé de la demande. Si les statuts peuvent réserver le droit de vote aux associés sur les questions autres que celles relatives à l’affectation des bénéfices (Cass. com. 31-3-2004 no 03-16.694 FS-PB : RJDA 6/04 no 711), ils ne peuvent pas, en revanche, priver l’usufruitier de parts sociales du droit de contester une délibération collective susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance.

Fondement juridique : les articles 578 du Code civil (« l’usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d’en conserver la substance »), 31 du Code de procédure civile (« l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ») et 6, § 1 de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme (toute personne a droit à un recours effectif au juge).

Exemples :

  • L’usufruitier de parts d’une société civile immobilière (SCI) est recevable à solliciter l’annulation, pour abus de majorité, d’une assemblée générale ayant décidé d’augmenter le capital de la société (c’est à dire une décision non relative à l’affectation des résultats), ainsi que de toutes les délibérations et consultations écrites postérieures, en ce qu’elles ont été adoptées avec les majorités issues de l’augmentation de capital contestée, même si les statuts de la SCI énonçaient que les usufruitiers étaient irrecevables à contester toute décision collective quelle que soit sa forme, à la seule exception des décisions collectives portant sur l’affectation des résultats. (Cass. 3e civ. 11-7-2024 no 23-10.013 FS-B)

Divers

En principe, ces prérogatives devraient être réservées au nu-propriétaire, qui seul a la qualité d’associé.

La Cour de cassation admet toutefois que l’usufruitier de parts sociales peut provoquer une délibération des associés sur une question susceptible d’avoir une incidence directe sur son droit de jouissance des droits sociaux (Cass. com. avis 1-12-2021 n° 20-15.164 FS-D : BPAT 1/22 inf. 47 et Cass. 3e civ. 16-2-2022 n° 20-15.164 FS-B : BPAT 2/22 inf. 104, à propos d’un usufruitier de parts d’une société civile qui réclamait une délibération ayant pour objet la révocation du gérant et la nomination de cogérants). Ce nouveau critère d’« incidence directe sur le droit de jouissance des droits sociaux » de l’usufruitier retenu par la Cour de cassation devrait permettre à l’usufruitier d’exercer certaines autres prérogatives que la loi réserve aux associés, par exemple le droit de demander la nomination d’un expert de gestion dans les SARL ou les sociétés par actions, la mauvaise gestion de l’entreprise pouvant entraîner une disparition des bénéfices et donc porter une atteinte directe à la jouissance de l’usufruitier.

Ne pas confondre indivision et démembrement

Attention les règles sont différentes en indivision :

Indivision de droits sociaux (actions et parts sociales)

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