L’action paulienne : tout comprendre

Le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (action dite « paulienne » ; C. civ. art. 1341-1).

L’article 1341-2 du Code civil étant laconique sur l’action paulienne, c’est la jurisprudence qui en a fixé le régime en retenant les principes suivants.

Les conditions de l’action paulienne

Cette action est recevable sous certaines conditions .

Une créance fondée en son principe

Le créancier demandeur doit être titulaire d’une créance fondée en son principe à la date de l’acte attaqué (notamment, Cass. 1e civ. 17-1-1984 no 82-15.146 P : Bull. civ. I no 16 ; Cass. com. 25-3-1991 no 89-12.267 P : RJDA 11/91 no 885, 1e espèce). Il n’est pas nécessaire que cette créance ait été certaine et exigible à cette date (Cass. com. 25-3-1991 précité).

Appauvrissement du débiteur 

La question à se poser : l’opération constitue-t-elle un facteur de diminution de la valeur du gage du créancier et d’appauvrissement du débiteur ?

L’acte attaqué doit avoir entraîné un appauvrissement du débiteur (diminution de son patrimoine) et provoqué ou aggravé l’insolvabilité apparente de celui-ci : ces conditions sont cumulatives pour un créancier chirographaire (Cass. 1e civ. 6-3-2001 no 98-22.384 FS-P : RJDA 7/01 no 808 ; Cass. 3e civ. 26-11-2020 no 19-23.243 F-D : RJDA 7/21 no 513).

Toutefois l’insolvabilité n’a pas à être caractérisée lorsque la fraude affecte l’exercice d’un droit spécial dont dispose le créancier sur un bien du débiteur, par exemple, une promesse de vente (Cass. 3e civ. 6-10-2004 no 03-15.392 F-PBI : RJDA 2/05 no 194) ou une hypothèque (Cass. 1e civ. 8-10-2008 no 07-14.262 F-D : RJDA 1/09 no 55).

Il faut qu’en accomplissant l’acte attaqué le débiteur ait eu conscience du préjudice qu’il causait au créancier (Cass. 1e civ. 13-1-1993 no 91-11.871 P : RJDA 11/93 no 937 ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 no 09-10.639 F-D : RJDA 7/10 no 782 ; Cass. com. 1-7-2020 no 18-12.683 F-D : RJDA 10/20 no 533).

Enfin, pour un acte consenti à titre onéreux, le tiers cocontractant doit avoir eu connaissance de la fraude (C. civ. art. 1341-2). Une telle connaissance n’est pas requise pour un acte à titre gratuit, telle une donation (Cass. 1e civ. 15-5-2015 no 14-16.652 F-D : RJDA 8-9/15 no 601).

Bien sûr, l’action paulienne doit être rejetée dès lors que, nonobstant l’acte attaqué, le débiteur demeure en mesure de désintéresser le créancier poursuivant (Cass. com. 1-7-2020 ).

Même en cas d’acte onéreux au prix du marché

Lorsque l’acte attaqué a été consenti à titre onéreux, l’équivalence des prestations dues par l’une des parties à celui-ci exclut-elle l’action paulienne puisque a priori il n’en résulte aucun appauvrissement ? La réponse négative de la Cour de cassation ne surprend pas.

Notamment le cas quand un immeuble est remplacé par du cash ou par des parts sociales.

Certes les parts sociales peuvent être saisies par le créancier (C. exécution art. L 231-1) mais les parts sociales ont des désavantages majeurs :

  • Difficulté de négociation des parts sociales : il n’est pas aisé de trouver un acquéreur pour celles-ci
  • que la vente soit faite à l’amiable ou sur adjudication, l’acquéreur doit être agréé par les autres associés
  • la valeur des parts peut baisser en fonction de l’évolution des dettes sociales
  • risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCI : les créanciers de la société prendre des sûretés sur les actifs de celle-ci, voire les saisir

Acte litigieuxSolutionJp
Apport par une personne physique d’un immeuble à une SCI en contrepartie de quoi ’intéressé a reçu des parts de la SCI dont la valeur nominale correspondait à la valeur de l’immeublela difficulté de négocier les parts sociales et le risque d’inscription d’hypothèques sur l’immeuble du chef de la SCICass. com. 29-5-2024 no 22-20.308 F-B, Sté Banque CIC Sud-Ouest c/ X
des parts sociales reçues par un débiteur en contrepartie de l’apport d’un immeuble à une société civile, même si l’apport avait été fait dans des conditions financières normales,la saisie des parts n’offrait pas, pour le créancier, les mêmes garanties qu’une saisie immobilière et que, l’existence de dettes sociales amoindrissant la valeur des parts, l’apport constituait un appauvrissement du patrimoine du débiteurCass. com. 3-12-2002 no 99-18.580 F-D
la cession d’un bien, même consentie à un prix normal, contre des liquiditésa pour effet de faire échapper le bien aux poursuites du créancier du vendeur, en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender ().Cass. com. 1-3-1994 no 92-15.425 P ; Cass. com. 23-5-2000 no 96-18.055 FS-D

Charge de la preuve de l’insolvabilité ou de la solvabilité du débiteur

La Cour de cassation fait application de ces principes, y compris ceux relatifs à la charge de la preuve (Cass. 1e civ. 5-7-2005 no 02-18.722 F-PB : RJDA 2/06 no 188 ; Cass. 1e civ. 10-4-2013 no 12-11.788 F-D : RJDA 11/13 no 937 ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 no 09-10.639 F-D : RJDA 7/10 no 782).

En effet, si c’est au créancier exerçant l’action paulienne d’établir l’insolvabilité apparente du débiteur, c’est à ce dernier qu’il appartient de prouver qu’il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l’engagement.

D’une part, l’insolvabilité apparente du débiteur résultait des éléments suivants : la créance de l’administration des douanes était fondée en son principe à la date de la donation-partage, puisque la condamnation pénale du débiteur avait déjà été confirmée une première fois par une cour d’appel ; la dette en cause était importante ; l’acte de donation, portant sur une somme à partager de 1 260 000 € et intervenu trois mois après le prononcé de l’arrêt de la cour d’appel, avait nécessairement appauvri le débiteur en soustrayant certains éléments de son patrimoine et avait été consenti afin de porter atteinte au droit de créance de l’administration des douanes ; la donation étant un acte à titre gratuit, la preuve de la fraude de ses bénéficiaires n’était pas exigée.

D’autre part, le débiteur n’avait pas soutenu qu’il aurait disposé d’un patrimoine suffisant pour faire face à sa dette.

Cass. com. 10-5-2024 no 22-15.257 F-D, X c/ Administration des douanes et droits indirects

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