Aux termes de l’article 1219 du code civil “Une partie peut refuser d’exécuter son obligation, alors même que celle-ci est exigible, si l’autre n’exécute pas la sienne et si cette inexécution est suffisamment grave.”
Mécanisme
Dans un contrat synallagmatique, la partie qui n’a pas encore exécuté son obligation peut s’abstenir de le faire si son contractant n’a pas exécuté la sienne ou a refusé d’y procéder à condition de prouver cette inexécution et sa gravité.
Pour faire jouer l’exception d’inexécution, la partie qui l’invoque doit justifier d’une inexécution suffisamment grave de son cocontractant (C. civ. art. 1219). Les juges, qui apprécient souverainement la gravité de l’inexécution la retiennent rarement (notamment, Cass. 3e civ. 17-12-2002 no 01-10.406 F-D : RJDA 3/03 no 227 ; Cass. 3e civ. 11-1-2006 no 04-30.240 FS-PB)
Par exemple :
- Constitue un manquement justifiant le non-paiement du solde du prix de vente d’un immeuble à construire par l’acheteur le défaut de versement de l’indemnité de retard de livraison par le vendeur qui a pour conséquence faire perdre à l’acheteur le bénéfice d’une mesure de défiscalisation (Cass. 3e civ. 23-9-2020 no 19-12.219 F-D : RJDA 1/21 no 3) ;
- l’impossibilité pour un locataire commercial d’user des lieux conformément à la destination prévue au bail justifie le non-paiement des loyers (Cass. 3e civ. 19-3-2003 no 01-13.912 FS-D : RJDA 6/03 no 569).
En revanche, ne justifie pas l’inexécution :
- un défaut d’exécution imputable en réalité à la partie qui invoque l’exception (Cass. com. 14-2-2018 no 16-25.100 F-D : RJDA 6/18 no 487).
- La société qui recourt à un prestataire pour refondre son site internet doit collaborer avec lui et elle ne peut pas invoquer l’exception d’inexécution pour refuser de payer la prestation si elle a tardé à lui transmettre les informations lui permettant de mener à bien sa mission. En effet, la refonte d’un site internet nécessite la participation active du client, lequel doit fournir au prestataire les informations essentielles sans lesquelles celui-ci ne peut pas mener à bien sa mission, et cette collaboration fait nécessairement partie du périmètre contractuel. (CA Versailles 17-3-2022 no 20/04847, Sté Fixacouette c/ Sté Kardham digital)
Quid du paiement des loyers ?
Certains locataires sont tentés de ne pas vouloir payer leur loyer lorsque des nuisances ‘sonores, etc
Le locataire commercial peut cesser de verser le loyer s’il ne peut pas utiliser le local loué. Le locataire commercial ne peut pas invoquer l’exception d’inexécution pour suspendre le paiement des loyers sur le fondement d’infiltrations affectant le local loué : encore faut-il établir que ces infiltrations ont rendu le local impropre à l’usage auquel il était destiné.
Invoquant le non-paiement des loyers, le propriétaire d’un local commercial agit contre son locataire en résiliation du bail. Le locataire se prévaut alors de l’exception d’inexécution, le propriétaire ayant selon lui manqué à son obligation de délivrance à raison d’infiltrations affectant le local loué.
Une cour d’appel donne raison au locataire et ordonne la consignation des loyers, retenant que peu importe que l’exploitation ne soit pas totalement impossible, l’exception d’inexécution étant justifiée par le manquement du bailleur à une obligation essentielle du bail.
La Cour de cassation censure cette décision : les juges du fond auraient dû vérifier si les infiltrations alléguées avaient rendu les locaux loués impropres à l’usage auquel ils étaient destinés.
Cass. 3e civ. 6-7-2023 no 22-15.923 FS-B
Le paiement des loyers aux termes convenus est l’une des obligations essentielles du locataire (C. civ. art. 1728). Le locataire ne peut en principe pas valablement s’en dispenser en invoquant un manquement du bailleur à ses obligations, la Cour de cassation ne lui reconnaissant le bénéfice de l’exception d’inexécution que dans des circonstances exceptionnelles, notamment en cas d’impossibilité totale pour lui d’utiliser les locaux loués (Cass. 3e civ. 31-10-1978 no 77-11.355 : Bull. civ. III no 252 ; Cass. 3e civ. 21-12-1987 no 86-13.861 : Bull. civ. III no 212) ou, au moins, en cas d’impossibilité d’en user conformément à la destination prévue au bail (Cass. 3e civ. 21-11-1990 no 89-16.189 P : RJDA 2/91 no 96).
La décision commentée montre que cette solution est appliquée avec rigueur, et qu’il ne suffit pas de constater l’inexécution par le bailleur d’une obligation essentielle du bail pour justifier la mise en œuvre de l’exception d’inexécution.
Quid en présence de clauses conventionnelles expresses ?
L’exception d’inexécution peut-elle être mise en œuvre lorsque l’inexécution dénoncée fait l’objet, conventionnellement, d’une réparation spécifique ?
Oui. La solution trouve sa justification dans les principes de la force obligatoire du contrat et de la réparation intégrale du dommage ; en outre, il est traditionnellement considéré que, quelle que soit la mesure à laquelle le créancier de l’exécution a recours, il peut toujours demander, en outre, la réparation du préjudice que l’inexécution lui a causé.
Cette solution est consacrée par l’article 1217 du code civil qui prévoit que les sanctions de l’inexécution contractuelle qui ne sont pas incompatibles peuvent être cumulées, des dommages et intérêts pouvant toujours s’y ajouter.
Au cas présent, le moyen invitait la Haute Juridiction à juger que les sanctions conventionnelles n’excluent pas la mise en œuvre des remèdes de droit commun sauf « renonciation expresse et non équivoque » à s’en prévaloir.
Or la Cour de cassation ne reprend pas cette réserve :
La stipulation de sanctions à l’inexécution du contrat n’exclut pas la mise en œuvre des solutions issues du droit commun des obligations. Des sanctions contractuelles n’interdisent pas d’invoquer l’exception d’inexécution de droit commun
Cass. 3e civ. 14-2-2019 no 17-31.665 FS-PBI, Sté Icade promotion tertiaire c/ R. ès. qual.
Faut-il en déduire que la décision commentée, interdisant d’écarter conventionnellement les sanctions de droit commun, consacrerait leur caractère d’ordre public ? Une partie de la doctrine est en ce sens (voir B. Mercadal, « L’ordre public dans la réforme du droit des contrats » : BRDA 6/18 inf. 21), tandis que le rapport au Président de la République admettait au contraire la possibilité de déroger assez largement aux dispositions des articles 1217 et suivants du Code civil. Il appartiendra à la Cour de cassation de préciser si, et dans quelle mesure, les parties peuvent écarter ou aménager les remèdes légaux sanctionnant l’inexécution du contrat.