L’expertise judiciaire est une mesure d’instruction ordonnée par un juge pour éclairer le tribunal sur des points techniques qui nécessitent l’intervention d’un spécialiste.
En matière comptable et financière, l’expertise judiciaire peut être sollicitée par une partie qui soupçonne des détournements de fonds au sein d’une société, par exemple par un associé, un dirigeant ou un salarié.
Quels sont les avantages et les modalités d’une telle expertise ? Quels sont les risques encourus par les auteurs de détournements ?
Cet article vous apporte des éléments de réponse.
Qu’est-ce qu’une expertise judiciaire en matière comptable et financière ?
Une expertise judiciaire en matière comptable et financière est une mission confiée par le juge à un expert-comptable ou à un commissaire aux comptes, qui a pour but de vérifier la régularité et la sincérité des comptes d’une société, ainsi que la réalité et la licéité des flux financiers qui la concernent. L’expert doit se faire communiquer tous les documents comptables et financiers utiles à sa mission, tels que les bilans, les comptes de résultat, les liasses fiscales, les balances comptables, les journaux comptables, les fichiers FEC, les procès-verbaux des assemblées générales, etc. Il doit également procéder à des investigations sur place, en interrogeant les personnes concernées et en examinant les pièces justificatives. L’expert doit ensuite rédiger un rapport dans lequel il expose ses constatations, ses analyses et ses conclusions, qu’il remet au juge et aux parties.
Quels sont les cas où il est utile de recourir à une expertise judiciaire en matière comptable et financière ?
Une expertise judiciaire en matière comptable et financière peut être demandée par une partie qui a des doutes ou des soupçons sur la gestion d’une société, notamment en cas de :
- Détournements de fonds : il s’agit d’actes frauduleux commis par une personne qui s’approprie indûment des fonds appartenant à la société, par exemple en falsifiant des chèques, en émettant de fausses factures, en prélevant sur la caisse, en effectuant des virements sur son compte personnel ou celui de tiers complices, etc. Les détournements de fonds peuvent être réalisés par un associé, un dirigeant ou un salarié de la société.
- Abus de biens sociaux : il s’agit d’un délit commis par un dirigeant qui utilise les biens ou le crédit de la société à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société dans laquelle il a des intérêts, en violation de l’intérêt social. Par exemple, le dirigeant peut se faire attribuer des rémunérations excessives, se faire rembourser des frais fictifs ou personnels, acquérir ou vendre des biens à des prix anormaux, consentir des prêts ou des garanties sans contrepartie, etc.
- Faux en écriture : il s’agit d’un délit commis par une personne qui altère la vérité dans un document ayant une portée juridique ou comptable, par exemple en modifiant le montant ou le bénéficiaire d’un chèque, en antidatant ou postdatant un contrat, en falsifiant une signature, en créant un document fictif, etc. Le faux en écriture peut être réalisé par un associé, un dirigeant ou un salarié de la société.
Quels sont les avantages d’une expertise judiciaire en matière comptable et financière ?
Une expertise judiciaire en matière comptable et financière présente plusieurs avantages pour la partie qui la sollicite :
- Elle permet de faire la lumière sur les faits : l’expertise judiciaire est un moyen efficace pour déceler et prouver l’existence de détournements ou d’autres irrégularités comptables et financières, grâce à l’analyse approfondie et objective réalisée par l’expert. L’expertise judiciaire peut ainsi révéler des anomalies qui auraient pu échapper à l’expert-comptable ou au commissaire aux comptes de la société, ou qui auraient été dissimulées par les auteurs des détournements.
- Elle permet de faire valoir ses droits : l’expertise judiciaire est un élément de preuve qui peut être invoqué devant le juge pour faire reconnaître sa qualité de victime et demander réparation du préjudice subi. L’expertise judiciaire peut également servir de base pour engager la responsabilité civile ou pénale des auteurs des détournements ou des professionnels du chiffre qui auraient manqué à leurs obligations de contrôle ou d’alerte.
- Elle permet de faire cesser les détournements : l’expertise judiciaire a un effet dissuasif sur les auteurs des détournements, qui peuvent être amenés à arrêter leurs agissements ou à les rembourser, par crainte d’être découverts et sanctionnés. L’expertise judiciaire peut également conduire à la mise en place de mesures correctives ou préventives pour renforcer la sécurité et la transparence de la gestion comptable et financière de la société.
Quelles sont les modalités d’une expertise judiciaire en matière comptable et financière ?
Une expertise judiciaire en matière comptable et financière peut être demandée soit avant le procès, soit pendant le procès.
L’expertise judiciaire avant le procès
L’expertise judiciaire avant le procès, ou expertise en référé, est une mesure d’instruction qui peut être ordonnée par le juge des référés du tribunal compétent (tribunal judiciaire, tribunal de commerce, etc.), à la demande d’une partie qui souhaite obtenir des éléments de preuve avant d’engager une action en justice.
Elle peut également être demandée sur requête lorsque certaines conditions justifient la dérogation au principe du contradictoire.
Il faudra bien souvent s’armer d’un pré rapport d’expert privé qui établira les anomalies potentielles ou avérées.
L’expertise judiciaire pendant le procès
L’expertise judiciaire pendant le procès, ou expertise au fond, est une mesure d’instruction qui peut être ordonnée par le juge du fond (tribunal judiciaire, tribunal de commerce, etc.), à la demande d’une partie ou d’office, lorsqu’il existe des difficultés techniques qui nécessitent l’éclairage d’un expert.
Quels sont les risques encourus par les auteurs de détournements ?
Les auteurs de détournements s’exposent à des sanctions civiles et pénales, selon la nature et la gravité des faits commis.
Les sanctions civiles
Les sanctions civiles visent à réparer le préjudice subi par la victime des détournements, qui peut être la société elle-même ou un tiers (associé, créancier, etc.). La victime peut agir en responsabilité contractuelle ou délictuelle, selon qu’elle est liée ou non par un contrat avec l’auteur des détournements. La victime doit prouver l’existence d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre les deux. Les sanctions civiles peuvent consister en :
- La restitution des sommes détournées : l’auteur des détournements doit rembourser à la victime les fonds qu’il a indûment perçus, avec les intérêts légaux.
- L’allocation de dommages et intérêts : l’auteur des détournements doit indemniser la victime pour le préjudice qu’il lui a causé, qu’il soit matériel (perte de chiffre d’affaires, de clientèle, etc.) ou moral (atteinte à la réputation, à la confiance, etc.).
- La résiliation du contrat : le contrat qui lie l’auteur des détournements à la victime peut être résilié pour inexécution fautive, ce qui entraîne la cessation des obligations réciproques et éventuellement le versement de dommages et intérêts.
Les sanctions pénales
Les sanctions pénales visent à punir l’auteur des détournements pour l’infraction qu’il a commise, qui peut être un délit ou un crime, selon le montant des sommes détournées et les circonstances des faits. L’auteur des détournements peut être poursuivi par le ministère public ou par la victime, qui se constitue partie civile. Les sanctions pénales peuvent consister en :
- Une amende : l’auteur des détournements doit payer une somme d’argent au Trésor public, dont le montant varie selon l’infraction commise et le régime applicable (contraventionnel, correctionnel ou criminel). Par exemple, le délit d’abus de biens sociaux est puni d’une amende pouvant aller jusqu’à 375 000 €.
- Une peine d’emprisonnement : l’auteur des détournements doit subir une privation de liberté, dont la durée varie selon l’infraction commise et le régime applicable. Par exemple, le délit d’abus de biens sociaux est puni d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement.
- Des peines complémentaires : l’auteur des détournements peut se voir infliger des mesures restrictives ou dissuasives, telles que l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou sociale, la confiscation des biens acquis frauduleusement, l’affichage ou la diffusion de la décision de condamnation, etc.
Modèle de mission d’expertise judiciaire comptable et financière
Nommer l’expert judiciaire qu’il lui plaira inscrit sur les listes dans la catégorie “D.1. Comptabilité” avec la mission suivante :
- se faire communiquer par toute personne dont l’expert-comptable de la société
- les bilans et comptes de résultats, liasses fiscales, balances comptables, journaux comptables, fichiers FEC
- les procès-verbaux des assemblées générales de la société sur les 5 dernières années
- tout élément qu’il estimera nécessaire à sa mission, étant précisé qu’en cas de refus ou de carence d’une partie il en tiendra compte dans son rapport et/ou saisira le juge d’une demande d’injonction
- Rechercher toutes anomalies comptables apparentes et/ou avérées et en particulier celles qui concernent les sous-traitants, les créances clients, les règlements des fournisseurs et l’existence d’éventuels abus de biens sociaux et/ou détournements au profit de toute personne dont tel ou tel associé ou dirigeant.
- Vérifier toutes les sommes allouées et/ou versées aux dirigeants au titre de rémunérations
- Établir le rapport qui sera remis au Tribunal ainsi qu’aux parties.
- Préciser que l’expert :
- En concertation avec les parties, établira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l’issue de la première réunion d’expertise qui devra avoir lieu dans le mois de sa désignation ;
- Au plus tard deux (2) mois après la première réunion d’expertise, l’expert actualisera ce calendrier, indiquant un délai aux parties pour procéder à des interventions forcées et les informant de la date à laquelle il envisage de leur adresser son document de synthèse ;
- Transmettra aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il se justifiera dans son rapport, et fixera le calendrier de la phase conclusive de ses opérations, déterminant sauf circonstances particulières, la date limite du dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, rappelant aux parties qu’il n’est pas tenu de prendre en considération les observations envoyées au-delà de ce délai et leur rappelant la date
qui lui est impartie pour déposer son rapport.