L’incapacité totale de travail (ITT) : tout ce qu’il faut savoir

Pourquoi l’ITT est indispensable

L’ITT est indispensable en droit pénal pour déterminer l’infraction qu’a commise un auteur. Elle a une fonction centrale.

L’ITT est un outil de discrimination entre les différents seuils de gravité que le résultat de violences peut atteindre. 

La peine encourue, la nature criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle de l’infraction, l’identification de la juridiction pénale compétente, le régime de prescription de l’action publique et de la peine… tout cela va être déterminé par l’ITT.

Dans le cas de violences volontaires par exemple, elles  connaissent plusieurs « variantes » selon le résultat effectivement survenu – et autant de qualifications infractionnelles

  1.  contravention de 4e classe pour les « violences légères » n’ayant entraîné aucune ITT (C. pén., art. R. 624-1.
  2. contravention de 5e classe pour les violences ayant entraîné une ITT inférieure ou égale à 8 jours C. pén., art. R. 625-1.
  3. délit puni de 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende pour les violences ayant entraîné une ITT supérieure à 8 jours Ou pour les violences sans ITT ou avec ITT égale ou inférieure à 8 jours lorsque l’une des circonstances spécialement visées par l’article 222-13 du Code pénal est retenue)
  4. délit puni de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende pour les violences ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente (C. pén., art. 222-9.) ;
  5. crime puni de 15 ans de réclusion criminelle pour les violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner (C. pén., art. 222-7.).

La détermination de la durée de l’ITT aura donc un effet direct sur les poursuites (tribunal de police ou tribunal correctionnel) et sur la peine encourue.

Pourtant, cette notion d’ITT n’a jamais été définie.

Définition de l’incapacité totale de travail (ITT)

Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’existe dans le code pénal aucune définition de l’incapacité totale de travail.

La qualification d’une infraction est donc totalement laissée à l’arbitraire d’un médecin.

L’incapacité totale de travail est une notion de droit pénal destinée à renseigner les magistrats sur le retentissement fonctionnel des violences subies. Evaluée en nombre de jours, elle n’est définie par aucun texte et pourtant de sa durée dépendent la qualification retenue et donc la juridiction de jugement compétente. C’est la jurisprudence et dans une moindre part la pratique qui vont encadrer cette notion.

Précision : l’ITT, en dépit de son nom, n’est ni totale ni limitée au travail.

Voici plusieurs définitions tour à tour retenues :

  1. l’incapacité pour une personne à se livrer normalement aux actes courants de la vie quotidienne. 
  2. la période pendant laquelle une victime de violences volontaires ou involontaires n’est plus en capacité partielle ou totale de se livrer aux actes de la vie courante (manger, dormir, se laver, s’habiller, faire ses courses, se déplacer).
  3. l’incapacité totale ou partielle dans la sphère personnelle ou professionnelle

Contrairement à ce que son nom indique, l’incapacité de travail ne vise pas seulement l’exercice d’une activité professionnelle, et il est acquis de longue date par la jurisprudence qu’elle vise plus largement l’incapacité d’exercer toute activité.

Ll’ITT demeure une notion propre au droit pénal permettant de déterminer si les faits de violences présentent le caractère d’une infraction et le cas échéant laquelle.

l’ITT ne renvoie quasiment plus à aucun des termes qui la désignent :

  • Ni incapacité de travail, puisqu’elle s’applique même aux gens qui ne travaillent pas, aux personnes actives professionnellement mais aussi aux personnes sans emploi, aux retraités et aux enfants.
  • ni incapacité totale  puisqu’elle s’applique même quand la victime a pu se livrer partiellement à ses activités professionnelles. Par exemple, la victime, représentant de commerce, ne pouvait pas démarcher sa clientèle, mais pouvait toutefois faire de la comptabilité, passer des commandes, effectuer des activités annexes (Cass. 2e civ., 19 nov. 2015, no 14-25519,)

“ITT, ce sigle magique que tout le monde emploie et que personne ne connaît”

Proposition de critères à prendre en compte par le médecin

  1. -ITT (au sens pénal) signifie incapacité totale de travail.
  2. -L’ITT connaît une définition établie par la jurisprudence et non une définition médicale.
  3. -Dans l’ITT, l’incapacité n’est pas totale : ainsi, elle n’implique pas nécessairement pour la victime l’impossibilité de se livrer à un effort physique afin d’accomplir elle-même certaines tâches ménagères.
  4. -Dans l’ITT, l’incapacité ne concerne pas le travail au sens habituel du mot, mais les activités usuelles de la victime.
  5. -L’évaluation de l’ITT s’applique aux troubles physiques et psychiques, sources d’incapacité, c’est-à-dire à toutes les fonctions de la personne.
  6. -L’évaluation de l’ITT ne doit pas dépendre du courage ou de la situation sociale de la victime.
  7. -Le médecin doit expliquer à la victime le sens de l’ITT et lui dire que cette évaluation ne remet pas en cause la durée de l’arrêt de travail éventuellement prescrit, qui constitue une incapacité professionnelle.
  8. -Le certificat doit être compréhensible par son destinataire – officier de police judiciaire, magistrat -, qui n’est pas médecin : écriture lisible, termes simples et précis évitant le jargon médical et les abréviations.
  9. -Certains cas sont difficiles : les violences essentiellement psychologiques en font partie. Bon sens et expérience clinique sont alors des aides précieuses ; le médecin a intérêt à motiver la durée d’ITT qu’il établit, en référence à des durées précises de perturbations des actes de la vie courante.
  10. -La rédaction d’un certificat descriptif et l’évaluation de l’ITT sont, pour la victime, un moment privilégié de passage d’un état de blessé à celui de plaignant. L’écoute de la victime par le médecin en est une dimension importante.

Qui fixe l’ITT ?

L’ITT est fixée par le médecin sur réquisition judiciaire confronté à une victime de violences, et sa durée détermine la nature de l’infraction (contravention ou délit), la peine encourue, et donc la juridiction compétente.

Seul un médecin requis par l’autorité judiciaire (UMJ ou réquisition spéciale) peut fixer une ITT.

Comment obtenir une ITT en pratique aux UMJ ?

Lorsqu’il existe une unité médico judiciaire, celle-ci est habituellement chargée d’évaluer l’ITT.

L’unité médico judiciaire (UMJ) est une unité de médecine légale clinique, appelée également urgences médico-judiciaires, unité de consultations médico -judiciaires ou centre médico-judiciaire. Situées à l’interface de la médecine, de la justice et de la société, les UMJ ont un rôle clé dans la prise en charge initiale des victimes, leur information et leur orientation vers les structures de soins et les associations d’aide aux victimes.

Les UMJ n’agissent que sur réquisition d’un officier de police judiciaire et ont pour mission principale d’établir des constats médicaux destinés à l’autorité requérante, et n’ont en principe pas d’activité de soins, sauf en cas d’urgence. Les UMJ sont financées par les frais de justice et non par la sécurité sociale. Les consultants ne paient pas de consultation. Pour chaque acte pratiqué, un mémoire de frais est adressé au tribunal de grande instance d’où provient la réquisition.

Que faire si les UMJ me sont refusées ?

La réquisition est normalement remise par le policier à la suite du dépôt de plainte.

Si le policier refuse, il faut :

  • Insister en demandant expressément “une copie de réquisition des UMJ pour évaluer mon ITT en tant que victime”
  • Passer par son généraliste

Quel certificat demander à son médecin généraliste à défaut d’UMJ ?

Modèle de certifical médical pour violences

Comment est fixée l’ITT ?

Il n’existe aucune échelle d’évaluation objective de l’ITT à la disposition des médecins, dont il résulte une grande disparité dans l’appréciation de l’ITT par le corps médical.

Retentissement psychologique et détermination de l’ITT

C’est un des domaines d’exercice difficiles dans l’appréciation de l’ITT. Comment marquer une limite à un processus continu, s’atténuant lentement ? Comme pour les violences physiques, il s’agit d’appliquer une loi du tout ou rien, quand l’état de la victime s’améliore de manière progressive. Il importe pour le médecin non seulement de se convaincre lui-même lors de la fixation de l’ITT, mais de motiver suffisamment son appréciation pour convaincre le magistrat de la cohérence de celle-ci et pour limiter le risque d’une contestation par l’auteur des violences (ou son avocat).

Une approche accessible à tout praticien, psychiatre ou non, est de chercher le plus précisément possible, avec la victime, la correspondance entre sa souffrance psychologique et les actes de la vie courante, en particulier manger, dormir, sortir faire ses courses, et même se laver. Une victime peut être gênée pour manger en raison d’un plaie de la lèvre, mais aussi car elle a perdu l’appétit à la suite des violences ; la tristesse de l’humeur peut induire une perte d’estime de soi, une perte d’intérêt pour soi et pour l’entourage, qui la conduit à ne plus être en état de se laver. La crainte de rencontrer un agresseur peut conduire une victime à éviter certains lieux ou certains itinéraires, voire à ne plus quitter son domicile. La recherche d’une telle correspondance permet une quantification en nombre de jours ; elle présente aussi l’avantage d’être en harmonie avec la définition jurisprudentielle de l’ITT.

Une telle approche est aisément utilisable en pratique en cas de traumatisme psychologique unique. La situation est plus délicate en cas de harcèlement moral, qui parfois s’étend sur des mois ou des années. Le bon sens invite alors le médecin à ne pas prendre en compte la totalité de la durée d’une gêne dans les actes de la vie courante, fût-elle majeure. On imagine l’embarras d’un magistrat face à une ITT fixée à deux ans, par exemple. Une solution intermédiaire imparfaite, mais réaliste, consiste à chercher avec la victime des repères chronologiques correspondant à des perturbations particulièrement marquées dans ses actes de la vie courante, dans les suites d’un acte agressif que l’on pourrait isoler dans le comportement du harceleur.

Que doit contenir le certificat médical établi par le médecin ?

L’établissement d’un certificat médical ne doit pas être considéré comme une formalité administrative.

Le certificat est une pièce essentielle lors d’un dépôt de plainte, mais son importance pour la victime va bien au-delà. C’est un authentique acte médical, attestant par écrit, de la part d’un professionnel extérieur au cercle familial, l’existence de lésions traumatiques ou de symptômes traduisant une souffrance psychologique. Tous les médecins n’ont pas encore conscience de l’importance, pour la victime, d’un tel certificat : les maladresses dans la rédaction, les erreurs ou les approximations sont fréquentes. Une ecchymose n’est pas un hématome, une érosion cutanée n’est pas une plaie. Les points importants de la rédaction d’un certificat médical descriptif chez une victime de violences sont résumés ci-après.

L’évaluation de l’ITT nécessite un certificat médical descriptif minutieux des lésions : leur importance, leur nombre, le retentissement fonctionnel immédiat ; il est essentiel que son contenu soit en accord avec le vécu de la victime. Il est indispensable de décrire le retentissement psychologique exprimé par la victime et constaté par le médecin. Dans la plupart des certificats apparaissent les mentions : « sous réserve de complications » ou « sauf complications ultérieures » ; ces mentions devraient amener le magistrat à anticiper une augmentation de l’ITT.

Dans un contexte de violences conjugales, l’incapacité totale de travail est à manier avec circonspection. Très souvent les violences constatées le jour où la victime dépose plainte peuvent apparaître comme légères. C’est une erreur couramment admise que de croire que la plainte est déposée à la suite d’une violence plus grave, d’où l’importance de consigner les dires sur les violences antérieures, souvent confortées par la production de mains courantes.

Pourquoi le certificat médical est déterminant pour la suite de la procédure ?

On comprendra aisément que le certificat médical établi par les médecins des Unités médico-judiciaires n’est pas sans influence sur la chaîne de traitement de la plainte de la victime. Même si toute violence commise par un conjoint ou concubin est constitutive d’un délit (exception des problèmes exposés ci-dessus en cas de rupture de la vie commune), la pratique démontre que face à une ITT faible, un certificat laconique, imprécis dans la description des lésions, le policier ou le gendarme hésitera à placer en garde à vue l’agresseur, le magistrat s’interrogera sur l’opportunité d’engager des poursuites et choisira une voie alternative (rappel à la loi, classement sous condition, voire médiation).

L’ITT est-elle fiable ?

Pas du tout. La durée d’ITT est aussi fiable qu’une appréciation subjective d’un état médical. Demandez à deux médecins leur avis et il y a peu de chances qu’ils tombent sur le même quantum. Comment trancher de manière fiable et objective entre une ITT de 8 ou 9 jours alors que l’on passe d’une simple infraction (sans peine de prison) à un délit ?

Tous les médecins n’ont pas la même idée des gestes courants de la vie quotidienne, la prise en compte des répercussions psychologiques des violences est également discutée bien que la Cour de cassation, à plusieurs reprises, ait retenu que l’ITT recouvre à la fois le retentissement physique et le retentissement psychologique.

Quelles sont les suites de violences avec ITT ?

  1. le placement en garde à vue du mis en cause à la demande du Parquet
  2. son déferrement pour une présentation au substitut du Procureur.
  3. Orientation de la procédure
    • Soit comparution immédiate (violences importantes, précédents judiciaires de violences)
    • Soit la remise au conjoint violent d’une convocation à comparaître devant le tribunal correctionnel dans un délai maximum de deux mois. En attendant le jugement, le mis en cause sera placé sous contrôle judiciaire permettant ainsi de faire cesser la cohabitation et de mettre en place si nécessaire des mesures de soins.

Ne pas confondre

ITT vs DFT

Il ne faut pas confondre incapacité totale de travail (ITT) et déficit fonctionnel temporaire (DFT) 

 le déficit fonctionnel temporaire (DFT) qui traduit « l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle que va subir la victime jusqu’à sa consolidation. Elle correspond aux périodes d’hospitalisation de la victime, mais aussi à la perte de qualité de vie et à celle des joies usuelles de la vie courante que rencontre la victime pendant la maladie traumatique (séparation de la victime de son environnement familial et amical durant les hospitalisations, privation temporaire des activités privées ou des agréments auxquels se livre habituellement ou spécifiquement la victime, préjudice sexuel pendant la maladie traumatique, etc.) ». Le DFT comprend les périodes d’incapacité totale, notamment pendant les périodes d’hospitalisation, mais pas seulement (puisque la victime peut être confinée et alitée à son domicile), périodes dites de déficit fonctionnel temporaire total (DFTT), et également les périodes d’incapacité partielle, périodes dites de déficit fonctionnel temporaire partiel (DFTP).

A priori l’ITT, au sens pénal, est « une photographie immédiate de l’impact que l’infraction a eu sur la victime » et « une notion unique évaluée en jours ou en mois », tandis que le DFT « se décline en périodes dégressives, du jour de l’atteinte corporelle jusqu’au jour de la consolidation »

l’ITT demeure une notion propre au droit pénal permettant de déterminer si les faits de violences présentent le caractère d’une infraction, en l’occurrence d’une infraction indemnisable par une CIVI, tandis que le déficit fonctionnel temporaire constitue une notion propre au droit civil de la réparation.

 ITT et incapacité totale de travail personnel de l’article 706-3 du Code de procédure pénale

Sources

AJ Famille La violence dans le couple : aspects médicaux – Patrick Chariot – Nacer Bourobka – AJ fam. 2003. 419

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