Prendre rendez-vous

L’utilisation des pièces pénales au civil : ce qu’il faut savoir

La frontière entre procédure pénale et civile est parfois mince, notamment lorsque des éléments de preuve issus d’une procédure pénale peuvent être utiles dans un litige civil. Mais quelles sont les règles qui encadrent la communication de ces pièces ? Peut-on librement les verser aux débats civils ? Le dossier pénal peut-il être adressé ai juge civil ? Quels sont les risques en cas de violation du secret de l’instruction ? Cet article vous apporte un éclairage complet.

Communication de la plainte simple ou avec constitution de partie civile aux débats civils

La plainte simple ou avec constitution de partie civile

La communication d’une plainte pénale déposée est généralement admise. Lorsque la plainte pénale est déposée, elle n’a pas encore la nature d’acte d’enquête ou d’instruction puisqu’il n’y a pas encore de décision de poursuite prise par le parquet ni d’inscription cotée au dossier du juge d’instruction.

Des réserves peuvent néanmoins être formulées :

  • Lorsque la plainte pénale a été conservée par son signataire (feuillet récépissé de plainte ou récépissé de consignation si constitution de partie civile) : ce document n’est pas matériellement extrait du dossier de l’instruction et peut donc être produit en l’état par le plaignant sans qu’il soit besoin de solliciter une autorisation,
  • Lorsque la plainte pénale est issue du dossier d’enquête ou d’instruction : l’autorisation préalable du juge d’instruction doit être sollicitée.

La communication de la plainte pénale doit être accompagnée de la justification du dépôt effectif de la plainte (production de l’ordonnance fixant la consignation et de la justification du paiement de la consignation s’il s’agit d’une plainte avec constitution de partie civile, récépissé de dépôt s’il s’agit d’une plainte simple).

Communication des pièces d’un dossier en cours d’enquête ou d’instruction aux débats civils

La communication de pièces issues d’un dossier en cours d’enquête ou d’instruction est en principe impossible en raison du secret de l’instruction

L’article 11, alinéas 1er et 2, du Code de procédure pénale prévoit le secret de l’instruction : « Sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel dans les conditions et sous les peines prévues à l’article 434-7-2 du Code pénal. »

Les personnes soumises au secret de l’instruction sont celles qui concourent à la procédure, c’est-à-dire celles chargées de rechercher les éléments de l’infraction et de fournir à la juridiction de jugement les renseignements nécessaires à la décision : le magistrat instructeur, le parquet, les auditeurs de justice, les greffiers et commissaires de justice, les officiers et agents de la police judiciaire, ainsi que toute personne requise par le magistrat ou un membre de la police judiciaire pour l’exécution de sa mission.

Ne concourent pas à la procédure (c’est-à-dire qu’ils ne participent pas à la constitution des dossiers d’enquête et d’instruction) :

  • la partie civile,
  • le mis en examen
  • et le témoin assisté.

L’avocat de la partie civile et du mis en examen : « S’il ne concourt pas à la procédure au sens de l’article 11 du Code de procédure pénale, il résulte de l’article 160 du décret du 27 novembre 1991 que l’avocat ne doit commettre aucune divulgation contrevenant au secret professionnel et doit notamment respecter le secret de l’instruction en matière pénale » (Crim., 27 octobre 2004, n° 04-81.513).

La communication est d’autant plus impossible en raison du secret professionnel auquel est tenu l’avocat

Les règles du secret professionnel de l’avocat

Article 2.1 du RIN :
« L’avocat est le confident nécessaire du client.
Le secret professionnel de l’avocat est d’ordre public. Il est général, absolu et illimité dans le temps.
Sous réserve des strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi, l’avocat ne commet, en toute matière, aucune divulgation contrevenant au secret professionnel. »

Article 2 bis du RIN :
« L’avocat respecte le secret de l’enquête et de l’instruction en matière pénale, en s’abstenant de communiquer, sauf pour l’exercice des droits de la défense, des renseignements extraits du dossier ou de publier des documents, pièces ou lettres intéressant une enquête ou une information en cours.
Il ne peut transmettre de copies de pièces ou d’actes du dossier de la procédure à son client ou à des tiers que dans les conditions prévues à l’article 114 du Code de procédure pénale. »

Exceptions au secret professionnel

  • « strictes exigences de sa propre défense devant toute juridiction et des cas de déclaration ou de révélation prévus ou autorisés par la loi »
  • « sauf pour l’exercice des droits de la défense »
  • Article 114, alinéa 6, du CPP : « Seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense. »
  • « sans préjudice des droits de la défense »

Comment l’avocat peut-il communiquer les pièces ?

Communication des pièces d’un dossier en cours d’enquête ou d’instruction sans violer le secret de l’instruction et le secret professionnel

  1. L’avocat peut demander, par voie de conclusions, que les pièces soient transmises par le parquet directement à la juridiction.
  2. L’avocat peut y procéder dans le respect des possibilités limitées et encadrées par le Code de procédure pénale.

L’avocat peut demander par voies de conclusions à la juridiction saisie qu’elle se fasse communiquer directement les pièces par le parquet

L’article 11, alinéa 3, du Code de procédure pénale

« Toutefois, afin d’éviter la propagation d’informations parcellaires ou inexactes, de mettre fin à un trouble à l’ordre public ou lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie, le procureur de la République peut, d’office et à la demande de la juridiction d’instruction ou des parties, directement ou par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec son accord et sous son contrôle, rendre publics des éléments objectifs tirés de la procédure, ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause. »

Selon la commission de déontologie de l’Ordre des avocats de Paris, il est toujours possible, pour l’avocat qui estime que ces pièces sont indispensables à la défense dont il a la charge, de solliciter du tribunal, par voie de conclusions, qu’il se fasse communiquer lesdites pièces par le parquet (Rapport au Conseil de l’Ordre sur la déontologie en matière pénale, 2 avril 2002).

« Le secret de l’instruction n’est pas opposable au ministère public qui, dans l’exercice des missions que la loi lui attribue – notamment en matière de discipline des avocats –, a qualité pour apprécier l’opportunité de communiquer au juge une procédure judiciaire de nature à l’éclairer. » (Civ. 1re, 10 juin 1992, n° 91-17.028).

La doctrine relève que « le parquet est fondé à communiquer des pièces tirées d’une procédure en cours chaque fois que cette communication est nécessaire au bon déroulement de la mission dont il est investi. La formule, assez large, n’autorise pas uniquement le versement de pièces dans une procédure civile ou disciplinaire dans laquelle le ministère public serait lui-même partie. » (JCl Procédure pénale, Secret de l’instruction, Frédéric Desportes, Art. 11, fasc. 20, n° 87).

La transmission et la communication de pièces issues d’un dossier en cours d’enquête ou d’instruction sont limitées et encadrées par le Code de procédure pénale

Si aucun texte n’autorise expressément l’avocat à communiquer les pièces d’un dossier d’enquête ou d’instruction en cours dans les débats civils, celui-ci doit cependant respecter les dispositions de l’article 114 du Code de procédure pénale, qui le visent expressément :

  • Article 114, alinéa 4, CPP :
    « Après la première comparution ou la première audition, les avocats des parties ou, si elles n’ont pas d’avocat, les parties peuvent se faire délivrer copie de tout ou partie des pièces et actes du dossier (…). »
    ➜ L’avocat peut obtenir copie des pièces et actes du dossier après l’entretien de première comparution devant le juge d’instruction.
  • Article 114, alinéa 5, CPP :
    « (…) Lorsque la copie a été demandée par les avocats, ceux-ci peuvent en transmettre une reproduction à leur client, à condition que celui-ci leur fournisse au préalable cette attestation. »
    ➜ L’avocat peut transmettre à son client une reproduction des pièces et actes du dossier dont il a lui-même obtenu copie, à condition que ce dernier signe une attestation indiquant la liste des pièces reproduites.
    ➜ L’attestation informera le client que la transmission à des tiers de pièces de la procédure (autres que les rapports d’expertise nécessaires à la défense) l’expose à une peine d’emprisonnement de trois ans et à une amende de 45 000 euros (article 114-1 CPP).
  • Article 114, alinéa 6, CPP :
    « Seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées par les parties ou leurs avocats à des tiers pour les besoins de la défense. »
    ➜ Par exception au secret de l’instruction, seules les copies des rapports d’expertise peuvent être communiquées à des tiers par l’avocat, exclusivement pour les besoins de la défense.
  • Article 114, alinéa 7, CPP :
    « Lorsque la copie a été demandée par l’avocat, celui-ci doit, le cas échéant, donner connaissance au juge d’instruction, par déclaration à son greffier ou par lettre ayant ce seul objet et adressée en recommandé avec accusé de réception, de la liste des pièces ou actes dont il souhaite remettre une reproduction à son client. »
  • Article 114, alinéa 8, CPP :
    « Le juge d’instruction dispose d’un délai de cinq jours ouvrables à compter de la réception de la demande pour s’opposer à la remise aux parties de tout ou partie des copies demandées ou de leurs reproductions, par une ordonnance spécialement motivée au regard des risques de pression sur les victimes, les personnes mises en examen, leurs avocats, les témoins, les enquêteurs, les experts ou toute autre personne concourant à la procédure. »
    S’il veut communiquer le dossier à son client, l’avocat peut le faire, sauf opposition du juge d’instruction.

La délivrance par le greffe de copies de pièces pénales aux parties et aux tiers

Les textes applicables à la communication et à la copie de pièces pénales par les parties à l’enquête ou l’instruction

Article R. 155 CPP : « En matière criminelle, correctionnelle et de police, hors les cas prévus par l’article 114, il peut être délivré aux parties :
1° Sur leur demande, expédition de la plainte ou de la dénonciation, des ordonnances définitives, des arrêts, des jugements, des ordonnances pénales et des titres exécutoires prévus à l’article 529-2, alinéa 2, du code de procédure pénale ;
2° Avec l’autorisation du procureur de la République ou du procureur général, selon le cas, expédition de toutes les autres pièces de la procédure, notamment en ce qui concerne les pièces d’une enquête terminée par une décision de classement sans suite. Toutefois, cette autorisation n’est pas requise lorsque des poursuites ont été engagées ou qu’il est fait application des articles 41-1 à 41-3, et que la copie est demandée pour l’exercice des droits de la défense ou des droits de la partie civile. »

Les textes applicables à la communication et à la copie de pièces pénales par les tiers à l’enquête ou à l’instruction

Article R. 166 CPP : Les tiers peuvent se faire communiquer par le greffe les jugements, arrêts et ordonnances pénales définitifs sans autorisation du parquet (possible opposition du parquet : article R. 167 CPP).

Article R. 170 CPP : « Les copies des décisions non définitives, des décisions rendues par les juridictions d’instruction ou de l’application des peines, ainsi que des décisions rendues par les juridictions pour mineurs ou après des débats tenus à huis clos, ne sont délivrées aux tiers qu’avec l’autorisation préalable du procureur de la République ou du procureur général, et sous réserve que le demandeur justifie d’un motif légitime.

L’autorisation peut être accordée sous réserve de l’occultation des éléments ou motifs de la décision qui n’ont pas à être divulgués.

L’autorisation est refusée par décision motivée si la demande n’est pas justifiée par un motif légitime, si la délivrance de la copie est susceptible de porter atteinte à l’efficacité de l’enquête ou à la présomption d’innocence, ou pour l’un des motifs mentionnés à l’article R. 168. »

Quid de l’applicabilité de ces dispositions en cas de transmission par l’avocat de pièces pénales aux débats civils ?

Ces dispositions sont inapplicables, dès lors qu’elles concernent la délivrance par le greffe de copies pénales aux parties et aux tiers, et non la communication de pièces pénales aux débats civils. De plus, ces textes sont de nature réglementaire et ne sauraient constituer une exception au secret de l’instruction.

Néanmoins, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation applique ces dispositions pour subordonner la communication de pièces pénales aux débats civils à l’autorisation stricte du parquet :

« La jurisprudence retient qu’en application des articles R. 155 et R. 156 du code de procédure pénale, un tiers à une procédure pénale en cours ou terminée ne peut obtenir la délivrance de pièces extraites de ladite procédure qu’avec l’autorisation du procureur de la République. Dès lors, un plaideur qui produit de telles pièces sans justifier de l’autorisation requise s’expose à ce qu’elles soient écartées des débats. »
(2e Civ., 20 décembre 2007, pourvoi n° 07-12.281 ; 2e Civ., 9 avril 2009, pourvoi n° 08-12.574, Bull. 2009, II, n° 96) (souligné par nos soins).
(Extrait du rapport annuel 2012 de la Cour de cassation, « Pièces d’un dossier pénal », p. 351.)

L’exigence d’autorisation ne se limite pas aux seules pièces issues d’une procédure terminée : elle s’applique également dans le cadre d’une instruction en cours (Civ. 2e, 20 déc. 2007, n° 07-12.281).

Ainsi, une partie qui produit de telles pièces sans pouvoir justifier de cette autorisation s’expose à ce qu’elles soient écartées des débats, peu important que ces pièces aient été produites par le Parquet dans un procès civil (Civ. 2e, 9 avril 2009, n° 08-12.574).

Sanction en cas de non-respect

Les avocats – tenus au secret professionnel – doivent faire usage de prudence dans la communication des pièces pénales, s’ils ne veulent pas tomber sous le coup de l’article 226-13 du Code pénal : « La révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende » (Cass. crim., 28 sept. 2004, n° 03-84003, D.)

Communication de pièces pénales à l’issue de l’enquête ou de l’instruction

En l’absence de renvoi devant une juridiction de jugement (classement sans suite ou ordonnance de non lieu)

Lorsque l’instruction est close, il ne peut plus y avoir de violation du secret de l’instruction.

Les dispositions des articles R. 155 et R. 166 à 170 CPP en matière de délivrance par le greffe de pièces pénales aux parties et aux tiers s’appliquent.

En principe, rien n’interdit de communiquer aux débats civils les pièces pénales dès lors qu’elles ne sont plus couvertes par le secret de l’instruction et qu’elles ont été obtenues régulièrement.

Selon la Commission de déontologie, « les copies qui ont été régulièrement délivrées peuvent être produites dans le cadre de procédures civiles, commerciales ou prud’homales » (Bulletin de déontologie n°25/2002, p. 18).

La 2ème chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’aucun texte n’interdisait à une personne qui s’est constituée partie civile dans une instance pénale et qui n’est pas tenue au respect du secret de l’instruction de produire dans un procès civil ultérieur les procès-verbaux qui lui ont été délivrés en sa qualité de partie civile et qui sont présumés avoir été obtenus régulièrement (Soc., 6 juillet 1994, n° 90-43.640 ; Civ 2ème., 22 octobre 2009, Bull. 2009, II, no 253).

En cas de renvoi devant une juridiction de jugement

Selon la Commission de déontologie, « les copies qui ont été régulièrement délivrées peuvent être produites dans le cadre de procédures civiles, commerciales ou prud’homales » (Bulletin de déontologie n°25/2002, p. 18)

La chambre criminelle a validé le raisonnement des juges du fond qui avaient jugé que « La partie civile a la faculté de produire en justice les pièces tirées d’une procédure d’instruction dans laquelle elle est constituée, clôturée par une ordonnance de renvoi devant la juridiction de jugement » (Crim. 29 juin 1999, n°98-81.962).

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *