Le préjudice économique est la perte ou la diminution d’un avantage économique lié à l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale, causée par un fait dommageable.
Il peut être indemnisé par le responsable du dommage ou par son assureur, à condition qu’il soit certain, direct et personnel.
Le préjudice économique est un préjudice lié à une activité de production, de distribution ou de service.
Synthèse
Le préjudice économique se divise en deux parties : la perte subie et les gains manqués.
“Les éléments du préjudice patrimonial sont le gain manqué et la perte subie”
Cour d’appel de Paris, Pôle 5 – chambre 2, 10 septembre 2010, n° 09/16385
La distinction entre gain manqué et perte subie est importante car elle peut avoir des conséquences sur la méthode d’évaluation du préjudice économique. En effet, le gain manqué est généralement évalué in abstracto, en se fondant sur des données statistiques ou des moyennes, tandis que la perte subie est généralement évaluée in concreto, en se fondant sur les justificatifs fournis par le demandeur. Toutefois, cette distinction n’est pas absolue et il existe des cas où le gain manqué peut être évalué in concreto ou la perte subie in abstracto, selon les circonstances du cas d’espèce.
Perte subie
La perte subie est la diminution du patrimoine du demandeur causée par le fait dommageable. Il s’agit de réparer la perte effective subie par la victime à cause du fait dommageable, en se fondant sur les justificatifs fournis par le demandeur. La perte subie peut être matérielle ou immatérielle. Elle peut concerner des dépenses engagées par la victime, des biens endommagés ou détruits, ou des droits patrimoniaux affectés par le fait dommageable.
Ce sont tous les couts supplémentaires causés par les désordres et problèmes survenus (le plombier appelé en urgence, le service de ménage, la réfection d’un mur, etc.).
La perte subie répond à la question “Combien ça a couté de gérer les désordres ?“
Ils peuvent être majorés des intérêts compensatoires.
Le travail essentiel est la compilation des factures (HT car la TVA se déduit).
Gain manqué
Le gain manqué est la différence entre ce que le demandeur aurait gagné s’il n’y avait pas eu le fait dommageable et ce qu’il a effectivement gagné après le fait dommageable. Il s’agit de remettre la victime dans la situation dans laquelle elle aurait dû être si le fait dommageable n’avait pas eu lieu, en se fondant sur un scénario contrefactuel.
Dans quelle mesure les désordres ont entrainé une perturbation de l’activité économique.
Il convient d’avoir bien identifié en amont les désordres pour comprendre l’incidence sur l’activité.
Il faut neutraliser les éléments exogènes.
Exemples de gains manqués :
- Limitation de l’espace exploitable
- Fermeture de salle
- Baisse du nombre de couverts,
- Clients qui ne viennent pas parce que les toilettes ne fonctionnent pas
Cela se fait essentiellement grâce à l’analyse de la comptabilité :
- Taux de fréquentation qui fluctue
- Revenu moyen par couvert : les gens restent moins longtemps, prennent pas de dessert
Le scénario contrefactuel est le scénario dans lequel la faute n’aurait pas existé. Il doit être plausible et cohérent avec les données du marché et de l’activité du demandeur. La différence entre le scénario contrefactuel et le scénario réel permet de calculer le préjudice.
Préjudice moral
La plupart des problèmes rencontrés lors de l’exploitation, s’ils peuvent être irritants, n’ont pas engendré de vraie perte conséquente puisque le professionnel a continué bon an mal an à exploiter.
Le préjudice est alors surtout moral.
Il est très rare d’obtenir plus de 10 000 € de préjudice moral pour des désordres d’ordre économique.
Quel professionnel contacter ?
- Un expert perte d’exploitation et préjudice d’exploitation
- Un expert-comptable et financier
Comment calculer la marge sur couts variables à indemniser ?
Pour indemniser les préjudices économiques liés à une perte de chiffre d’affaires, il est nécessaire de procéder à un calcul de la marge :
- Les charges variables, qui sont celles qui varient en fonction du niveau d’activité ou du chiffre d’affaires. Par exemple, les achats de marchandises, les frais de sous-traitance, les primes d’objectif, etc.
- Les charges fixes, qui sont celles qui ne varient pas en fonction du niveau d’activité ou du chiffre d’affaires. Par exemple, le loyer des locaux, les assurances, les frais de personnel, etc.
La notion de marge à retenir est la marge sur coûts variables, qui correspond à la différence entre le chiffre d’affaires et les charges variables. Cette marge représente ce que la victime aurait gagné si le fait dommageable n’avait pas eu lieu, sous déduction des charges qu’elle n’a pas supportées du fait de la baisse d’activité.
Quel est le chiffre d’affaires dont la victime a été privée, sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité ?
Le rétablissement de la victime dans sa situation antérieure au dommage peut ainsi conduire à une indemnisation déterminée sur la base suivante :
Chiffre d’affaires perdu – charges variables qui auraient dû être engagées pour réaliser ce chiffre d’affaires = marge sur coûts variables
+ Frais supplémentaires spécifiques supportés du fait du dommage
– Frais de structure éventuellement réduits du fait du dommage
Pour apprécier la pertinence d’une action future, le client doit donc déterminer son
Taux de marge sur coûts variables (TMCV) = Marge sur coûts variables / Chiffres d’affaire
Comment réparer le préjudice économique ? (fiche 1)
Le préjudice économique doit être causé par un fait générateur de responsabilité, qu’il s’agisse d’une faute, d’un manquement contractuel ou d’un fait illicite. Par exemple, une pratique anticoncurrentielle, une rupture brutale de relations commerciales, une pratique commerciale déloyale, etc.
Le préjudice économique doit être direct et certain, c’est-à-dire qu’il doit résulter du fait dommageable sans intervention d’un élément étranger et qu’il doit être actuel ou évaluable. Par exemple, une perte de chiffre d’affaires, une perte de clientèle, une perte de marge, etc.
Le préjudice économique doit être évalué selon le principe de la réparation intégrale du préjudice, qui consiste à rétablir la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable ne s’était pas produit. Pour cela, il faut comparer la situation réelle observée avec la situation contrefactuelle hypothétique sans le fait dommageable. Le préjudice économique est alors égal à la différence entre les deux situations.
Quelle appréciation du lien de causalité ? (fiche 2)
Deux théories principales existent en doctrine et en jurisprudence : l’équivalence des conditions et la causalité adéquate.
- L’équivalence des conditions considère que tous les faits qui ont concouru à la production du dommage sont des causes équivalentes et suffisantes pour engager la responsabilité. Cette théorie facilite la reconnaissance du lien de causalité, mais elle peut conduire à une extension excessive de la responsabilité.
- La causalité adéquate retient que parmi les multiples causes du dommage, seule la cause prépondérante ou la plus proche du dommage est le fait générateur de responsabilité. Cette théorie limite la responsabilité, mais elle peut conduire à une appréciation subjective ou arbitraire de la cause adéquate.
La preuve du lien de causalité est particulièrement difficile à établir en matière de litiges économiques, car il peut y avoir plusieurs facteurs qui influencent le dommage. Par exemple, une perte de clientèle peut être imputable au comportement déloyal d’un concurrent, au jeu normal de la concurrence ou à la conjoncture économique. Pour faciliter la tâche probatoire de la victime, la jurisprudence et le législateur ont posé des présomptions qui permettent d’établir le lien de causalité dans certains cas :
- Les présomptions jurisprudentielles : par exemple, en matière de concurrence déloyale et de dénigrement, la Cour de cassation a posé une présomption selon laquelle un préjudice s’infère nécessairement d’un acte de concurrence déloyale ; en matière d’accident sur le lieu de travail, toute lésion soudaine et brutale se manifestant au temps et au lieu de travail est présumée résulter d’un accident du travail.
- Les présomptions légales : par exemple, en matière de pratiques anticoncurrentielles et plus particulièrement d’entente entre concurrents, l’ordonnance n°2017-303 du 9 mars 2017 a institué une présomption réfragable de préjudice ; en cas de rupture du contrat d’agence commerciale, les articles L. 134-11 à L. 134-16 du code de commerce prévoient une indemnisation de plein droit de l’agent commercial.
Comment évaluer un préjudice économique ? (fiche 3a)
Principe général
“Le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (Cass. civ. 2e, 28 octobre 1954, J.C.P. 1955, II, 8765).
Autrement dit, le principe général de l’évaluation d’un préjudice économique consiste à comparer la situation observée (ou scénario réel) avec la situation qui aurait été celle du demandeur en l’absence de fait générateur de responsabilité (situation dite « contrefactuelle »).
Cette méthodologie vaut quel que soit la nature du fait générateur, perte d’exploitation, rupture brutale des relations contractuelles, acte de concurrence déloyale aussi bien que pratique anticoncurrentielle, par exemple.
La question principale au moment d’évaluer un préjudice est de déterminer ce qui se serait vraisemblablement produit en l’absence du fait générateur. Cette situation ne peut être observée directement, il est donc nécessaire de formuler des hypothèses pour la reconstruire. Le préjudice est ensuite déterminé en comparant la situation observée (le fait générateur s’étant produit), avec cette situation contrefactuelle (situation non observable dans laquelle le fait générateur ne se serait pas produit).
Une fois que la situation contrefactuelle a été établie, le préjudice économique peut être quantifié par différence avec la situation réelle qui est observée. Par exemple, le profit estimé dans la situation contrefactuelle est comparé au profit réel engrangé par la victime et permet d’en déduire, par différence, le préjudice économique correspondant à la perte de profit supportée par la victime.
Le principe général de l’évaluation d’un préjudice économique par comparaison entre la situation réelle et la situation contrefactuelle englobe les deux natures de préjudice que recouvrent le gain manqué (lucrum cessans) et la perte subie (damnum emergens).
Synthèse
Comment évaluer un préjudice économique, c’est-à-dire la perte ou la diminution d’un avantage économique lié à l’exercice d’une activité professionnelle ou commerciale, causée par un fait dommageable.
Le principe général est celui de la réparation intégrale du préjudice, qui consiste à rétablir la victime dans la situation où elle se serait trouvée si le fait dommageable ne s’était pas produit. Pour cela, il faut comparer la situation réelle observée avec la situation contrefactuelle hypothétique sans le fait dommageable. Le préjudice économique est alors égal à la différence entre les deux situations.
Quelle méthodologie comptable et financière d’identification et évaluation du préjudice économique ?
- L’identification des préjudices réparables : il s’agit de déterminer la nature du dommage subi par la victime et ses conséquences concrètes. Par exemple, une perte de chiffre d’affaires, une perte de marge, une perte de chance, etc.
- La contextualisation des préjudices réparables : il s’agit de cerner le profil de l’entreprise victime et son environnement économique. Pour cela, il faut disposer d’informations sur son activité, ses enjeux, sa situation financière passée et ses perspectives futures.
- La détermination des paramètres du scénario contrefactuel : il s’agit de simuler la situation où la victime se serait trouvée si le fait dommageable ne s’était pas produit. Pour cela, il faut identifier les hypothèses pertinentes et les sources de données disponibles.
- La comparaison du scénario contrefactuel avec la situation réelle : il s’agit de mesurer l’impact du fait dommageable sur la variable d’intérêt (prix, quantités, profits, etc.). Pour cela, il faut utiliser des méthodes comparatives ou de modélisation (fiche n°3 c).
- L’établissement du différentiel de trésorerie comme mesure du préjudice indemnisable : il s’agit de calculer la différence entre les flux financiers générés par l’entreprise dans le scénario contrefactuel et dans le scénario réel. Ce différentiel représente le manque à gagner ou la perte subie par la victime.
- Les ajustements tenant à la date et à la durée du préjudice : il s’agit de tenir compte du temps écoulé entre le fait dommageable et l’indemnisation. Pour cela, il faut actualiser ou capitaliser les flux financiers selon le taux d’intérêt approprié. Il faut également prendre en compte d’autres éléments de préjudice direct, tels que le préjudice financier ou le préjudice moral.
Quelle méthodologie comptable et financière d’identification et évaluation du préjudice économique ? (Fiche n°3 b)
De façon à respecter les principes applicables à la réparation des préjudices, il est nécessaire de recourir à une démarche méthodologique structurée qui peut suivre les étapes suivantes :
1. L’identification des préjudices réparables ;
2. La « contextualisation » du préjudice par l’examen complet de la situation de l’entreprise victime au regard du préjudice identifié ;
3. La détermination des paramètres du scénario contrefactuel ;
4. La comparaison du scénario contrefactuel avec la situation issue des faits dommageables ;
5. L’établissement du différentiel de trésorerie comme mesure du préjudice indemnisable ;
6. Les ajustements tenant à la date et à la durée du préjudice : actualisation, capitalisation, préjudice financier, ou la prise en compte d’autres éléments de préjudice direct.
Quelles méthodes économiques pour évaluer un préjudice ? (fiche 3c)
Comment mesurer l’impact du fait générateur de responsabilité sur une variable d’intérêt (prix, quantités, profits, etc.) selon les méthodes comparatives et les méthodes de modélisation :
- Les méthodes comparatives consistent à construire la situation contrefactuelle en utilisant des marchés ou des périodes comparables et non impactés par le fait générateur. On cherche à comparer les valeurs de la variable d’intérêt sur le marché affecté avec les valeurs sur le marché comparable. Les méthodes comparatives peuvent être de deux types : les simples différences, qui comparent la situation avant et après le fait générateur ou la situation sur le marché affecté avec la situation sur un autre marché non affecté ; les doubles différences, qui combinent la dimension temporelle avec la comparaison avec un autre marché non affecté.
- Les méthodes de modélisation consistent à construire la situation contrefactuelle en utilisant des modèles économiques ou statistiques qui permettent de simuler le comportement des agents ou les équilibres de marché en l’absence du fait générateur. On cherche à estimer les paramètres du modèle à partir des données observées et à calculer la valeur de la variable d’intérêt dans le scénario contrefactuel. Les méthodes de modélisation peuvent être de deux types : les modèles structurels, qui reposent sur des hypothèses théoriques sur le fonctionnement du marché et les préférences des agents ; les modèles réduits, qui se basent sur des relations empiriques entre les variables sans imposer de structure théorique.
Evaluation in concreto vs in abstracto
Le préjudice économique peut être indemnisé selon deux méthodes : l’évaluation in concreto ou l’évaluation in abstracto.
L’évaluation in concreto consiste à apprécier le préjudice économique en fonction des circonstances particulières du cas d’espèce et des éléments de preuve fournis par le demandeur. Cette méthode permet de tenir compte des spécificités du demandeur et de son activité. Elle nécessite une analyse détaillée des données comptables, financières et économiques du demandeur, ainsi qu’une comparaison entre sa situation réelle après le fait dommageable et sa situation hypothétique sans le fait dommageable.
L’évaluation in abstracto consiste à apprécier le préjudice économique en fonction de critères généraux et objectifs, sans tenir compte des spécificités du cas d’espèce. Cette méthode permet de simplifier le calcul et de garantir l’égalité des victimes. Elle repose sur l’utilisation de données statistiques, de moyennes ou de forfaits applicables à une catégorie de victimes ou à un type de dommage.
Comment réparer le préjudice économique résultant d’une perte de chance ? (fiche n°4)
Synthèse de la perte de chance
Comment réparer le préjudice économique résultant d’une perte de chance, c’est-à-dire la disparition certaine d’une éventualité favorable qui aurait pu se réaliser sans le fait dommageable.
Conditions et les modalités d’indemnisation de la perte de chance :
- La perte de chance doit être causée par un fait générateur de responsabilité, qu’il s’agisse d’une faute, d’un manquement contractuel ou d’un fait illicite.
- La perte de chance doit être certaine et actuelle, c’est-à-dire qu’il doit exister une probabilité non négligeable que l’événement favorable se soit produit sans le fait dommageable. Il ne s’agit pas de réparer une simple espérance ou une hypothèse aléatoire.
- La perte de chance doit être évaluée en fonction de la valeur du gain manqué ou de la perte évitée par la victime et de la probabilité de réalisation de l’événement favorable. Il s’agit donc d’une indemnisation partielle et non intégrale du préjudice.
Exemples concrets :
- La perte de chance de ne pas contracter ou de contracter à de meilleures conditions en cas de réticence dolosive ou de manquement à un devoir de conseil.
- La perte de chance de souscrire une assurance couvrant les pertes d’exploitation éventuelles en cas de manquement à un devoir d’information.
- La perte de chance des actionnaires victimes de fausses informations diffusées par une société cotée en bourse.
Que peut-on espérer sur le fondement de la perte de chance ?
En matière économique, la perte de chance permet de réparer un large éventail de préjudices dès lors qu’il est possible de démontrer la disparition certaine d’une éventualité favorable, d’une chance d’obtenir un gain ou de limiter une perte.
L’indemnisation exclut à titre de principe toute demande à la hauteur de la totalité des pertes subies ; elle se limite à une certaine somme correspondant à la seule chance perdue (3ème Civ., 7 avril 2016, n°15-11.342).
Par exemple, elle permet de réparer :
- Le préjudice caractérisé par la perte de chance de ne pas contracter ou de le faire à de meilleures conditions en cas de réticence dolosive ou de manquement d’un professionnel à son devoir de conseil précédent la conclusion d’un contrat (3èmeCiv., 7 avril 2016, n° 15-14.888, à propos d’un notaire qui conseille l’acquisition d’un local dont le règlement de copropriété interdit l’exploitation d’une certaine catégorie de commerce).
- La perte de chance de souscrire une assurance couvrant les pertes d’exploitation éventuelles du fait du manquement de l’assureur à son devoir d’information (1ère Civ., 23 septembre 2003 n°01-02.775).
Quels éléments sont pris en compte par le juge dans sa prise de décision ?
Au regard de la jurisprudence, pour être indemnisable, une “perte de chance” suppose la réunion de plusieurs conditions :
- Un fait générateur de responsabilité ;
- La probabilité d’une éventualité favorable, cette probabilité étant caractérisée dès lors qu’il existe une chance, même minime, que l’évènement favorable se réalise : « toute perte de chance ouvre droit à réparation » (1ère Civ., 12 octobre 2016, n°15-23.230 et n°15-26.147) ;
- La disparition de la probabilité de réalisation de l’événement favorable en raison du fait générateur de responsabilité : « seule constitue une perte de chance réparable, la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (1ère Civ., 8 mars 2012, n°11-14.234).
Une fois ces conditions réunies, le juge doit évaluer le préjudice économique indemnisable pour perte de chance en :
- Déterminant la valeur des gains manqués par le demandeur du fait de l’absence de survenance de l’évènement favorable empêché par le fait générateur ;
- Déterminant la probabilité de l’évènement favorable avant la survenance du fait générateur ;
- Multipliant ensuite la valeur du gain manqué par la probabilité de son occurrence. Le résultat de cette opération correspond au préjudice indemnisable sur le fondement de la perte de chance.
En théorie, comme pour tout préjudice, l’appréciation de la perte de chance doit être concrète et non pas forfaitaire (1ère Civ., 16 novembre 2016, n°15-25.513).
Mais, les juges du fond disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour évaluer la chance perdue, c’est-à-dire la probabilité de l’évènement favorable. Leurs décisions doivent néanmoins être motivées.
Quels documents fournir au juge au soutien de sa demande de réparation pour perte de chance ?
Selon la jurisprudence, « il incombe seulement à la victime de préciser à quel montant elle évalue ses différents préjudices, l’office du juge consistant alors à en apprécier le bien-fondé et à déterminer, par une appréciation souveraine, la fraction de ces préjudices correspondant à la perte de chance de les éviter » (1ère Civ., 8 juillet 1997, n° 95-17.076).
Dès lors, pour optimiser les chances de succès de l’action en réparation sur le fondement de la perte de chance, le demandeur doit communiquer certains documents indispensables à la démonstration de son préjudice économique. A défaut, le juge ne fera pas droit à sa demande :
- Les documents établissant le fait générateur de responsabilité (en général, la faute du défendeur) ;
- Les documents et analyses (étude économiques, données de marché) permettant de démontrer l’existence et la probabilité de l’éventualité favorable avant la survenance du fait générateur de responsabilité ;
- Les documents permettant d’établir le lien de causalité entre le fait générateur et la disparition de l’éventualité favorable ;
- Les documents permettant de démontrer la valeur des gains potentiellement manqués du fait de l’absence de survenance de l’évènement favorable, les parties ayant fréquemment recours à un expert privé pour analyser ces documents et expliquer la demande financière avancée.
Comment réparer le préjudice moral (extrapatrimonial) ?
comment réparer le préjudice moral (extrapatrimonial) d’une entreprise, c’est-à-dire l’atteinte à son image, à sa réputation, à son honneur ou à son moral.
- Le préjudice moral doit être causé par un fait générateur de responsabilité, qu’il s’agisse d’une faute, d’un manquement contractuel ou d’un fait illicite. Par exemple, une usurpation de nom, un détournement d’image, un dénigrement, une concurrence déloyale, etc.
- Le préjudice moral doit être certain et actuel, c’est-à-dire qu’il doit se traduire par une dégradation effective et mesurable de l’image ou du moral de l’entreprise. Par exemple, une perte de licences de marque, une banalisation du produit, une perte de confiance des salariés, etc.
- Le préjudice moral doit être évalué en fonction du dommage subi par l’entreprise et des conséquences sur son activité. Il s’agit donc d’une indemnisation concrète et non forfaitaire. Le demandeur doit justifier du quantum du préjudice moral allégué.
Pour rappel, le juge peut, outre la réparation pécuniaire du préjudice :
- Ordonner toute mesure de nature à prévenir ou faire cesser, si nécessaire sous astreinte, un agissement déloyal générateur de préjudice, en particulier moral ;
- Ordonner la publication judiciaire du jugement.
Comment réparer les préjudices liés à l’écoulement du temps ?
L’écoulement du temps peut créer un nouveau préjudice et/ou accroître le préjudice initial dont il est demandé réparation.
Afin de prendre en compte ce facteur temporel, plusieurs systèmes d’indemnisation ont été instaurés :
En premier lieu, un remède mécanique a été mis en place afin de réparer le préjudice né du retard à exécuter une obligation pécuniaire : les intérêts moratoires.
En second lieu, un préjudice peut naître de la privation des sommes qui seront allouées en réparation du préjudice initial calculé à compter de la naissance du dommage jusqu’au jour du jugement prononçant la réparation. Ce préjudice additionnel (“préjudice de trésorerie” ou “préjudice financier”) est réparé par le paiement d’intérêts compensatoires.
D’autres mécanismes prenant en considération l’écoulement du temps existent tels que l’exécution provisoire de la décision rendue, ou encore l’astreinte qui permet d’accélérer l’exécution de la décision.
Synthèse (fiche 7)
Il est ici question des préjudices qui résultent du retard dans le paiement ou l’exécution d’une obligation. Elle présente les différents mécanismes d’indemnisation qui existent pour prendre en compte ce facteur temporel :
- Les intérêts moratoires, qui sont des intérêts légaux dus par le débiteur d’une somme d’argent en cas de retard de paiement. Ils sont calculés selon un taux fixé par décret chaque année et sont dus de plein droit sans qu’il soit besoin de les réclamer.
- Les intérêts compensatoires, qui sont des intérêts destinés à réparer le préjudice financier subi par le créancier du fait de la privation des sommes qui lui sont dues entre la date du dommage et la date du jugement. Ils sont calculés selon le taux d’intérêt auquel le créancier aurait pu placer son argent pendant cette période et sont dus sur demande expresse du créancier.
- L’exécution provisoire, qui est une mesure permettant au créancier d’obtenir l’exécution immédiate d’une décision de justice, sans attendre que les voies de recours soient épuisées. Elle est de droit pour certaines décisions ou peut être ordonnée par le juge à titre exceptionnel.
- L’astreinte, qui est une somme d’argent que le débiteur doit payer par jour de retard dans l’exécution d’une obligation non pécuniaire. Elle est fixée par le juge en fonction du caractère de gravité du manquement et peut être modifiée ou supprimée en cas de changement de circonstances.
Les intérêts moratoires
Les intérêts moratoires sont prévus aux articles 1231-6 et 1231-7 du code civil (anciens articles 1153 et 1153-1 du code civil) ainsi qu’à l’article L. 441-10, II du code de commerce (ancien article L. 441-6, alinéa 12, du code de commerce). Ce dernier texte s’applique dans les relations entre toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services et tout acheteur agissant dans le cadre de son activité professionnelle (Civ. 1ère, 5 février 2020, n° 18-18854, dont il résulte que l’application de l’ancienne disposition (art. L. 441-6 C. com.) est exclue pour les personnes qui ont la qualité de non-professionnel).
Les intérêts moratoires ont pour but de réparer le préjudice résultant du seul fait du retard du paiement d’une somme d’argent.
A la différence du système classique des dommages et intérêts, le préjudice est présumé, et le montant fixé par le législateur.
Le juge est ainsi privé de son pouvoir d’appréciation au profit d’un système d’indemnisation forfaitaire en vertu duquel le créancier perçoit un loyer d’argent limité à un taux d’intérêt fixé par le législateur.
Il convient de souligner enfin que les intérêts moratoires ne doivent pas être confondus avec l’astreinte.
Taux applicable
i. Taux fixé par la loi
Les intérêts moratoires des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil correspondent à un taux légal fixé par décret chaque année, qui, conformément à l’article L. 313-2 du code monétaire et financier, est différent selon la nature de la créance (créancier personne physique n’agissant pas pour les besoins de son entreprise ou autres cas).
A titre d’exemple, pour le premier semestre de l’année 2020, le taux légal est fixé à :
- 3,15% lorsque le créancier est une personne physique n’agissant pas pour ses besoins professionnels,
- 0,87 % dans tous les autres cas.
En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, l’article L. 313-3 du code monétaire et financier prévoit que le taux de l’intérêt légal est majoré de cinq points à l’expiration d’un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision. Toutefois, le juge de l’exécution peut exonérer le débiteur de cette majoration ou en réduire le montant.
Les intérêts moratoires de l’article L. 441-10, II du code de commerce – ancien article 441- 6 du code de commerce – correspondent au taux d’intérêt appliqué par la Banque centrale européenne (“BCE”) à son opération de refinancement la plus récente majoré de dix points, soit 10 % pour le premier semestre 2020.
ii. Taux conventionnel
Principe : L’application du taux légal ou du taux de la BCE n’étant pas d’ordre public, les parties peuvent fixer un intérêt conventionnel de leur choix ou toute autre modalité d’indemnisation du retard.
A défaut de taux conventionnel mentionné, le taux légal ou le taux de la BCE s’appliquera de manière automatique.
Cette faculté est particulièrement intéressante s’agissant des intérêts moratoires des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, dans la mesure où le taux légal prévu par décret est assez faible.
Limites : S’agissant des intérêts moratoires des articles 1231-6 et 1231-7 du code civil, le taux conventionnel s’analyse juridiquement comme une clause pénale que le juge peut réduire, même d’office, s’il l’estime manifestement excessive.
En pratique, le juge s’attachera à déterminer si le taux conventionnel fixé par les parties est manifestement excessif au regard du préjudice effectivement subi par le créancier (1ère Civ., 3 juin 2015, pourvoi n°14-11.632 ; Com., 5 avril 2016, pourvoi n°14-20.169).
S’agissant des intérêts de l’article L. 441-10, II du code de commerce – ancien article L. 441-6, alinéa 12, du code de commerce -, il est expressément prévu que ceux-ci ne peuvent être fixés dans les conditions générales de vente à un taux inférieur à trois fois le taux d’intérêt légal.
La Cour de cassation a par ailleurs jugé que les pénalités dues par application de ce texte ne constituent pas une clause pénale et ne peuvent donc être réduites en raison de leur caractère abusif (Com., 2 novembre 2011, pourvoi n° 10-14.677 : Bull. civ. n° 178).
Point de départ
S’agissant des sommes d’argent nominales, l’article 1231-6 du code civil prévoit que les intérêts ne sont dus qu’à compter de la mise en demeure.
S’agissant des sommes d’argent dues en vertu d’une décision de justice, l’article 1231-7 du code civil prévoit que les intérêts courent à compter du prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
En cas d’appel, l’article 1231-7 distingue deux cas :
- Si le juge d’appel confirme purement et simplement la décision allouant une indemnité en réparation d’un dommage, les intérêts sont dus à compter du jugement de première instance.
- Dans les autres cas, l’indemnité allouée en appel porte intérêt à compter de la décision d’appel.
S’agissant des intérêts de l’article L. 441-10, II du code de commerce – ancien article L. 441-6, alinéa 12, du code de commerce -, les pénalités de retard sont exigibles de plein droit, sans qu’il soit nécessaire d’adresser une mise en demeure à son débiteur. La créance naît automatiquement à l’échéance légale, soit le lendemain de la date à laquelle le paiement était prévu (CEPC, avis n°10-08 du 12 mai 2010).
Le créancier peut-il obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire ?
L’article 1231-6, alinéa 3, du code civil prévoit que “Le créancier auquel son débiteur en retard a causé, par sa mauvaise foi, un préjudice indépendant de ce retard, peut obtenir des dommages et intérêts distincts de l’intérêt moratoire“.
L’octroi de dommages et intérêts distincts des intérêts moratoires est donc subordonné à deux conditions cumulatives : la preuve d’un préjudice indépendant du retard et la preuve de la mauvaise foi du débiteur.
Peut-on cumuler les intérêts moratoires de l’article 1231-6 du code civil avec ceux de l’article L. 441-10, II du code de commerce – ancien article L. 441-6 du code de commerce ?
La jurisprudence ne s’est pas encore prononcée clairement sur le cumul entre pénalités de retard et intérêts moratoires de l’article 1231-6 du code civil.
La question est débattue en doctrine dans la mesure où :
- D’une part, la Cour de cassation a jugé que les pénalités de retard de l’article L. 441-6 du code de commerce s’analysent comme des intérêts moratoires, ce qui pourrait alors exclure le cumul d’intérêts de même nature (Com., 10 novembre 2015, pourvoi n° 14-15.968) ;
- D’autre part, il a également été jugé que les pénalités de retard dues en vertu de l’article L. 441-6 du code de commerce ne constituent pas une clause pénale soumise au pouvoir modérateur du juge, contrairement aux intérêts de l’article 1231-6 du code civil (Com., 2 novembre 2011, pourvoi n°10-14.677 : Bull. civ. n° 178).
2. Les intérêts compensatoires en réparation du préjudice de trésorerie” ou “préjudice financier”
a) Comment définir les intérêts compensatoires ?
Lorsqu’une personne subit un préjudice, le dommage économique entraîne pour la victime un préjudice additionnel qui résulte de la privation de la trésorerie pendant la durée qui s’étend de la naissance du dommage jusqu’au jour du jugement de réparation.
Ce préjudice additionnel est aussi appelé “préjudice de trésorerie” ou “préjudice financier”.
Il peut être réparé par l’application d’un taux d’intérêt au montant alloué en réparation du préjudice initial : les intérêts compensatoires.
Cette pratique est aujourd’hui consacrée par la Cour de justice, par les juges du fond principalement en matière de concurrence, ainsi que par la directive 2014/104 du 26 novembre 2014 relative aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence (transposée en droit français par l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 et le décret n° 2017-305 du 9 mars 2017).
A cet effet, tant la Cour de justice que les juges du fond distinguent de manière constante deux types de préjudice résultant de l’écoulement du temps : l’érosion monétaire et la perte de chance subie par la partie lésée du fait de l’indisponibilité du capital (CA Paris, 14 décembre 2016, n° 13/0875 ; CA Paris, 10 mai 2017, n° 15/05918; CJCE, 3 février 1994, aff. C-308/87, pt. 40).
b) Comment calculer les intérêts compensatoires ?
Point de départ et d’arrivée
Les intérêts compensatoires sont dus depuis le moment où le préjudice a été constaté jusqu’au jour du jugement statuant sur les intérêts compensatoires.
Taux applicable
Alors que les intérêts moratoires sont dus sans que le créancier soit tenu de démontrer l’existence d’une perte spécifique, l’octroi de dommages et intérêts compensatoires implique la démonstration de l’existence d’un préjudice provenant de la privation de la trésorerie correspondant au préjudice économique subi.
Sa réparation nécessite donc la connaissance de l’usage que la victime aurait fait de la trésorerie correspondante.
- La réduction des flux de trésorerie a éventuellement conduit à un accroissement du besoin de financement de l’entreprise, ce qui a pu entraîner une augmentation de son endettement et donc de ses frais financiers. Le taux d’intérêt à retenir sera alors le taux marginal auquel les ressources de financement sont obtenues.
- Si la réduction des flux de trésorerie consécutive au préjudice économique a eu pour conséquence de limiter les placements de l’entreprise, c’est le taux de la rémunération de ceux-ci qui sera utilisé.
- Dans les situations plus complexes où la victime peut démontrer que la réduction de sa trésorerie l’a empêchée de réaliser un investissement identifié, la rentabilité prévisionnelle de cet investissement, qui est fonction de sa spécificité et de ses modalités de financement, pourra être retenue.
A cet égard, la cour d’appel de Paris a repris la distinction entre le préjudice résultant de l’impossibilité de réaliser un investissement identifié et celui résultant de la simple limitation des placements financiers (Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 mai 2017, n° 15/05918 ; v. aussi 17 juin 2020, n° 17/23041) :
- En l’absence de la preuve d’un préjudice spécifique, elle juge que la perte de chance peut être évaluée en appliquant le taux d’intérêt légal correspondant à un placement sans risque ;
- En revanche, si l’entreprise démontre que l’indisponibilité des sommes l’a conduite, (i) soit à restreindre son activité sans trouver de financements alternatifs par emprunts ou fonds propres, (ii) soit à renoncer à des projets d’investissements dûment identifiés qui étaient susceptibles de rapporter l’équivalent du coût moyen du capital, la perte de chance est évaluée en appliquant le coût moyen pondéré du capital, aussi connu sous l’appellation WACC (Weight Average Cost Of Capital).
Quelle prise en compte du rôle de la victime de préjudices économiques ?
Deux situations se distinguent :
- Le rôle de la victime dans la réalisation du dommage : il s’agit de la faute de la victime qui a contribué à la survenance ou à l’aggravation du dommage. Cette faute peut entraîner une exonération partielle du responsable, sauf si elle est absorbée par la faute du responsable ou si elle est sans lien avec le dommage.
- Le rôle de la victime après la réalisation du dommage : il s’agit de l’attitude de la victime qui a cherché à limiter ou à ne pas aggraver son dommage. Cette attitude peut avoir des conséquences sur le montant des dommages et intérêts, selon que la victime a été diligente ou négligente.
Voici les différents mécanismes juridiques qui permettent d’apprécier le rôle de la victime :
- L’obligation de limiter le dommage, qui est une obligation unifiée faite à la victime, sauf en cas de dommage corporel, de prendre les mesures sûres et raisonnables pour éviter l’aggravation de son préjudice.
- La réparation des dépenses engagées par la victime diligente, qui sont des frais utiles ou nécessaires pour limiter le dommage ou pour rétablir la situation antérieure au dommage. Ces dépenses sont réparables si elles sont justifiées et proportionnées au dommage évité ou réduit.
- La sanction de l’inertie ou de l’imprudence de la victime, qui est une réduction des dommages et intérêts lorsque la victime n’a pas pris les mesures appropriées pour limiter son dommage ou lorsqu’elle a aggravé son dommage par son comportement fautif.
La forme d’un rapport d’expert
Première partie : caractérisation des fautes
Seconde partie : évaluation du préjudice