S’il vous est arrivé d’assister à une audience de référé en matière d’expertise, vous avez sans doute entendu l’expression “protestations et réserves” lancée par des avocats avec un certain aplomb. Parfois, elles deviennent même des “réserves d’usage” ou « toutes protestations et réserves d’usage » à propos de la demande de son adversaire.
Ce que veut dire l’avocat : acquièscement à la demande adverse
Mais quelles réserves ? Quels usages ? Est ce que la partie adverse s’oppose ou non à la demande ? Parce qu’en général quand on proteste, que ce soit contre ses parents, contre son employeur, contre son maire, c’est qu’on s’oppose à l’action qu’on nous met en face.
Pourtant, elle est souvent utilisée par des avocats pour dire au contraire qu’ils acceptent la demande adverse d’expertise.
Mais qui a raison alors ? Que veut dire réellement cette expression ?
Cette formule surannée “protestations et réserves” fait partie de ces nombreux tics de langage qui avaient surtout pour but d’éloigner le justiciable de la justice en utilisant un vocabulaire à soi, connu seulement d’un cercle restreint, et sans aucun fondement juridique.
Je m’oppose fermement aux usages puisqu’ils tiennent comme justification non la force de la loi, ni même celle de la jurisprudence, mais une ancienneté qu’ils brandissent comme un titre de noblesse. Mais les privilèges sont finis. Les usages sont faits pour être combattus : soit ils deviennent normatifs car consacrés par un juge ou par la loi, soit ils doivent cesser.
Fort heureusement, le développement des moyens de communication permet de mettre fin à ces usages d’un autre temps dans le but de rendre la justice plus juste, accessible et ouverte.
Surtout, les juridictions, saisies d’un nombre croissant de contentieux chaque année et face à des avocats de plus en plus rigoureux, doivent progressivement qualifier juridiquement ces formules à l’emporte pièce.
Ce que dit la jurisprudence : opposition/contestation
C’est ainsi que
La Cour de Cassation a jugé que , « le fait pour une partie de déclarer faire toutes protestations et réserves sur la demande n’implique pas abandon de ses prétentions et renoncement à son droit d’agir » Cass. 2e civ., 18 sept. 2008, n° 07-18.111, F-D
“Une partie qui conclut en s’en rapportant à justice émet une contestation. Dès lors, elle est irrecevable à soulever ensuite une exception d’incompétence” (Cass. 2e civ., 7 juin 2007, n° 06-15.920, Bull. 2007, II, N° 145. Lire en ligne : https://www.doctrine.fr/d/CASS/2007/JURITEXT000017894470)
“Une partie qui s’en rapporte à justice sur le mérite d’une prétention conserve néanmoins un intérêt à former un recours à l’encontre de la décision rendue. Pour autant, elle n’est pas recevable à invoquer devant la Cour de Cassation un moyen critiquant un chef de la décision ayant donné lieu au rapport à justice.” (Cour de Cassation, Chambre civile 2, du 3 mai 2001, 98-23.347, Publié au bulletin)
La cour d’appel de Poitier a le 12 avril 2022 jugé que :
“En l’espèce, les sociétés IMV et SMA n’ont pas déposé de conclusions, ont comparu lors de l’audience du 23 mai 2017 et émis toutes protestations et réserves d’usage.
Il est de jurisprudence confirmée que cette expression signifie, contrairement à ce qui est soutenu par les sociétés IMV et SMA une contestation et non un acquiescement à la demande d’expertise qui était formée par la société Macif.
Or, la défense à une action ne vaut pas demande en justice.
Seule constitue pour le défendeur à une action, une demande en justice interrompant la prescription celle par laquelle il prétend obtenir un avantage autre que le simple rejet de la prétention de son adversaire”
Protestations et réserve constitue une défense au fond qui interdit ensuite à la partie qui les a émises de soulever une exception de procédure (Civ. 2e, 7 juin 2007, no 06-15.920 )
En présence de ces formules hésitantes, tout comme avec le rapport à justice, la jurisprudence se refuse à les considérer comme un acquiescement ou une renonciation à agir. C’est là sans doute la solution la plus raisonnable, celle qui en tout cas est la plus en harmonie avec ce principe qu’une renonciation ne se présume pas.
Mais comment expliquer le contre-sens qui perdure ?
C’est très simple : la partie en demande à qui on émet des protestations et réserves a tout intérêt à faire considérer par le juge qu’il s’agit d’un acquiescement puisque comme cela il sera assuré d’obtenir son expertise.
Si au contraire il dit que c’est une opposition, il prend le risque du débat de la légitimité de la mesure sans pouvoir bénéficier d’un article 700 qui n’est jamais donné même en cas d’octroi de la mesure.
Conclusion
Le fait pour une partie de déclarer faire toutes protestations et réserves d’usage sur la demande adverse constitue une opposition et une contestation de la demande adverse au fond. Elle n’implique pas abandon de ses prétentions et renoncement à son droit d’agir. Elle devient ensuite irrecevable à soulever une exception d’incompétence