Le principe : l’usufruitier récupère les dividences
En principe, les dividendes sont les fruits des droits sociaux (Cass. com. 5-10-1999 no 97-17.377 P : RJDA 1/00 no 34 ; Cass. com. 10-2-2009 no 07-21.806 FS-PB : RJDA 5/09 no 433). Ils appartiennent à l’usufruitier en cas de démembrement (C. civ. art. 587).
L’exception : le nu-propriétaire récupère les dividendes
Quand les dividendes sont prélevés sur les réserves
Par exception, la chambre commerciale de la Cour de cassation avait jugé que les dividendes prélevés sur les réserves devaient, sauf convention contraire, revenir au nu-propriétaire tandis que l’usufruitier disposait d’un quasi-usufruit sur les sommes distribuées (Cass. com. 27-5-2015 no 14-16.246 FS-PBRI : RJDA 8-9/15 no 564 ; Cass. com. 24-5-2016 no 15-17.788 FS-PB : RJDA 8-9/16 no 618). La première chambre civile de la Cour de cassation avait justifié l’attribution au profit du nu-propriétaire par l’idée sous-jacente que les dividendes prélevés sur les réserves ne sont plus des fruits mais un accroissement de l’actif social (Cass. 1e civ. 22-6-2016 no 15-19.471 F-PB : RJDA 10/16 no 690,ne mentionnant ni l’existence d’un quasi-usufruit sur les sommes distribuées ni la faculté de déroger à cette répartition). Le prélèvement du dividende altère la substance des droits sociaux par diminution de l’actif social ce qui en fait un produit des droits sociaux, par opposition aux fruits qui se détachent des droits sociaux sans en diminuer la substance.
Quand les dividences proviennent de l’atteinte à la substance des droits sociaux (vente du bien immobilier, vente d’un actif essentiel, etc.)
Pour les sociétés civiles
Les dividendes issus de la vente de tous les actifs immobiliers d’une SCI vont au nu-propriétaire. Sauf convention contraire, les dividendes prélevés sur le produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI reviennent au nu-propriétaire, le droit de jouissance de l’usufruitier s’exerçant sous la forme d’un quasi-usufruit. Cass. 3e civ. 19-9-2024 no 22-18.687 FS-B
La troisième chambre civile de la Cour de cassation reprend cette répartition dans un cas où le prix de vente n’avait pas été affecté aux réserves. Pour justifier sa solution, elle adopte une nouvelle approche du critère de l’atteinte à la substance aux droits sociaux : la substance des droits sociaux n’est plus assimilée à l’actif social mais à la poursuite de l’objet social et à l’accomplissement du but poursuivi par les associés. Cette nouvelle approche se fonde sur la définition de la société donnée par l’article 1832 du Code civil. Sauf convention contraire entre le nu-propriétaire et l’usufruitier de parts sociales, la distribution sous la forme de dividendes du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une SCI revient au nu-propriétaire, le droit de jouissance de l’usufruitier s’exerçant sur la somme distribuée sous la forme d’un quasi-usufruit, dès lors qu’une telle distribution affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit en ce qu’elle compromet la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés
Pour les autres sociétés
Si elle est appliquée à d’autres sociétés que les sociétés civiles, cette nouvelle approche donnera vraisemblablement lieu à une appréciation au cas par cas de l’atteinte à la substance aux droits sociaux. On peut en effet supposer que d’autres distributions de dividendes seront susceptibles d’altérer la substance des droits sociaux comme par exemple en cas de dividende prélevé sur le prix d’un actif isolé mais essentiel à la société.
Il en résulte que la faculté de déroger par convention à la répartition des dividendes, affirmée ici par la troisième chambre civile, imposera au nu-propriétaire et à l’usufruitier d’identifier avec soin les situations dans lesquelles la distribution de dividendes sera de nature à compromettre la poursuite de l’objet social et l’accomplissement du but poursuivi par les associés.
La question de l’abus d’usufruit
L’usufruit peut cesser par l’abus que l’usufruitier fait de son droit de jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d’entretien (C. civ. art. 618). En outre, l’usufruitier à l’obligation de conserver la substance du bien grevé (C. civ. art. 578). Il peut apparaître dès lors paradoxal d’affirmer que la distribution d’un dividende porte atteinte à la substance des droits sociaux, tout en jugeant que le vote de cette distribution par l’usufruitier ne constitue pas un abus de son droit de jouissance.
Il semblerait que la troisième chambre civile considère que les droits du nu-propriétaire soient suffisamment sauvegardés par la constitution d’un quasi-usufruit. Rappelons que ce droit de jouissance particulier, qui s’exerce sur des biens consomptibles que sont notamment les sommes d’argent, impose à l’ususfruitier de restituer le bien grevé en fin d’usufruit (C. civ. art. 587). Le nu-propriétaire pourrait se faire consentir des garanties par l’usufruitier lors du démembrement des droits sociaux pour se prémunir contre une absence de restitution des sommes. Il en résulte que la décision de l’assemblée générale, à laquelle a pris part l’usufruitier, de distribuer les dividendes sur lesquels il jouit d’un quasi-usufruit, ne peut pas être constitutive d’un abus d’usufruit puisque le fruit va au X.