L’ouverture d’une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire rime – comme toutes procédures collectives – avec une restriction des pouvoirs du débiteur sur son patrimoine.
Lorsqu’une société est placée en redressement judiciaire, la question se pose de savoir QUI doit assigner en justice.
Attention, il n’est pas ici question des actes de gestion courante qui, s’ils n’ont pas été contresignés par l’administrateur judiciaire demeurent en principe valables entre les parties mais sont classiquement analysés comme inopposables à la procédure collective ce qui signifie qu’ils ne pourront faire l’objet d’un paiement dans le cadre de la procédure, mais des actes de procédure irréguliers.
Tout dépend de la mission qui est donnée par le jugement ordonnant le redressement judiciaire :
- surveillance,
- assistance (95 % du temps)
- ou gestion complète
Le fondement juridique
Le fondement juridique est l’article L. 631-12 du code de commerce :
“Outre les pouvoirs qui leur sont conférés par le présent titre, la mission du ou des administrateurs est fixée par le tribunal.
Ce dernier les charge ensemble ou séparément d’assister le débiteur pour tous les actes relatifs à la gestion ou certains d’entre eux, ou d’assurer seuls, entièrement ou en partie, l’administration de l’entreprise. Lorsque le ou les administrateurs sont chargés d’assurer seuls et entièrement l’administration de l’entreprise et que chacun des seuils mentionnés au quatrième alinéa de l’article L. 621-4 est atteint, le tribunal désigne un ou plusieurs experts aux fins de les assister dans leur mission de gestion. Dans les autres cas, il a la faculté de les désigner. Le président du tribunal arrête la rémunération de ces experts, mise à la charge de la procédure.
Dans sa mission, l’administrateur est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au débiteur.
A tout moment, le tribunal peut modifier la mission de l’administrateur sur la demande de celui-ci, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d’office.
L’administrateur fait fonctionner, sous sa signature, les comptes bancaires ou postaux dont le débiteur est titulaire quand ce dernier a fait l’objet des interdictions prévues aux articles L. 131-72 ou L. 163-6 du code monétaire et financier.”
En cas de mission d’assistance (95% des désignations)
Lorsqu’est nommé un administrateur judiciaire doté d’une mission d’assistance, le débiteur et son administrateur deviennent un véritable couple, puisque tous les actes effectués par l’un doivent requérir l’accord et la présence de l’autre.
L’obligation d’avoir les deux parties en demande
L’action en justice exercée par le débiteur dans le cadre d’une sauvegarde ou d’un redressement judiciaire avec désignation d’un administrateur doté d’une mission d’assistance doit être conjointe.
Il faut donc que les DEUX parties, administrateur judiciaire et débiteur, soient CONJOINTEMENT en DEMANDE à l’assignation. L’action du débiteur et de l’administrateur doit être conjointe (Cass. soc., 7 nov. 1990, n° 89-42.268) (Com 12 juin 2001 pourvoi n°97-20.623)
L’arrêt confirmatif le plus récent est Cour de cassation, Chambre commerciale, 27 Mai 2014 – n° 13-14.406 : ” Mais attendu que lorsque le débiteur en redressement judiciaire bénéficie d’un administrateur judiciaire avec mission de l’assister, l’appel n’est recevable que s’il est interjeté par eux deux dans le délai d’appel ; que, par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, l’arrêt se trouve légalement justifié ; que le moyen ne peut être accueilli ;“
Certains avocats recourent à la technique du “en présence de”. Cette pratique n’a aucun fondement juridique et ne permet pas selon moi de remplir la condition de coaction : pour agir, il faut être en demande, et pas simplement présent
En défense, la possibilité de conclure de manière séparée
Précision utile en cas d’action en défense : lorsqu’un débiteur est en situation procédurale de défense, le respect de la mission d’assistance éventuellement confiée à l’administrateur judiciaire est vérifié du seul fait de la poursuite conjointe de cet organe et du débiteur. En effet, en présence d’une simple mission d’assistance, qui se distingue par essence de la représentation, il n’est pas incohérent d’estimer que, lorsqu’il est défendeur, le débiteur puisse conclure seul et non conjointement avec son administrateur judiciaire. En effet, s’agissant d’exercer la défense et non d’intenter une action ou d’exercer une voie de recours, il n’est pas frappé au coin de l’évidence que le débiteur est obligé de partager les mêmes vues que l’administrateur judiciaire qui l’assiste. Ce qui implique que le débiteur et son administrateur judiciaire puissent avoir EN DEFENSE uniquement deux avocats distincts et deux positions juridiques distinctes.Com. 18 janv. 2023, F-B, n° 21-18.492
Sanction du non-respect de cette règle : irrecevabilité pour défaut de qualité à agir ou nullité ?
- la demande ou la voie de recours exercée par le débiteur seul est irrecevable (Com. 27 mai 2014, n° 13-14.406 NP, préc. ; 5 avr. 2016, n° 14-13.247 P, Dalloz actualité, 20 avr. 2016, ; Cass. com., 28 mai 2013, n° 11-23.586 ).
- Dans la même veine, la voie de recours formée par l’administrateur judiciaire avec mission d’assistance seul a pareillement été entachée d’irrecevabilité (Soc. 7 nov. 1990, n° 89-42.290 P).
Fin de non recevoir ou exception de nullité pour défaut de pouvoir ? Bien que l’on trouve trace d’arrêts optant pour la nullité sur le fondement d’un défaut de pouvoir du débiteur à accomplir seul tel ou tel acte procédural (Com. 12 juin 2001, n° 97-20.623 P, D. 2001. 2301 , obs. A. Lienhard ; RTD civ. 2001. 956, obs. R. Perrot ; RTD com. 2001. 775, obs. J.-L. Vallens ), c’est surtout la sanction de l’irrecevabilité pour défaut de qualité pour agir qui est plus couramment retenue (Com. 27 mai 2014, n° 13-14.406 NP)
Confirmé par : Cour d’appel de Basse-Terre – 2ème Chambre 8 février 2024 / n° 23/00172 ;
Comment régulariser ?
Il est toutefois possible de régulariser un acte réalisé par le débiteur à condition que l’administrateur y procède avant l’expiration du délai pour exercer l’acte en cause (Cass. com., 12 juin 2001, n° 97-20.623 : JurisData n° 2001-010102 ; Bull. civ. IV, n° 117 ; Act. proc. coll. 2001, comm. 161 ; Rev. proc. coll. 2002, p. 169, n° 15, obs. S. Gorrias ; JCP E 2002, 121, n° 4, obs. M. Cabrillac ; D. 2001, p. 2301, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2001, p. 775, obs. J.-L. Vallens ; RTD civ. 2001, p. 956, obs. R. Perrot. – Cass. com., 27 mai 2014, n° 13-14.406, inédit. – CA Colmar, 24 nov. 2011, n° 11/ 02703 : JurisData n° 2011-026293 ; Rev. proc. coll. 2012, comm. 30, Ch. Lebel). Plus spécialement, l’administrateur devra régulariser le pourvoi en cassation initié par le seul débiteur avant le délai de dépôt du mémoire ampliatif (Cass. com., 28 mai 2013, n° 11-23.586, préc.). La régularisation est possible mais limitée dans le temps par l’article 126 du Code de procédure civile (Cass. com., 3 déc. 2003, n° 01-00.485 : JurisData n° 2003-021364 ; Bull. civ. IV, n° 194 ; Dr. sociétés 2004, comm. 214, J.-P. Legros ; BJS 2004, p. 358, note J.-F. Barbièri).
le débiteur doit toujours intimer le liquidateur, mais le débiteur ou son conseil peut régulariser la procédure en mettant en cause ultérieurement le mandataire judiciaire par la voie d’un appel en intervention forcée, si le débiteur appelant ne l’a pas fait dans l’acte d’appel. Une telle possibilité est en principe réservée à la mise en cause d’un tiers qui n’était pas partie à la procédure (C. pr. civ., art. 66 et 555) et il est difficile de voir dans le mandataire judiciaire un « tiers ». Mais cet assouplissement des règles, qui répond à un oubli procédural, résout aussi une difficulté pratique, l’en-tête du jugement mentionnant parfois sous le même libellé le débiteur en liquidation judiciaire et le liquidateur qui le représente (Com. 5 avril 2016, n° 14-13 >.247 et n° 14-22.733,)