Lors d’une vente, le vendeur est notamment tenu de deux grandes obligations :
- Le vendeur a l’obligation de délivrer un bien conforme à celui promis (C. civ. art. 1603 et 1604), c’est ce qu’on appelle la délivrance conforme qui garantie l’acheteur contre un défaut de conformité ou l’obligation, pour le vendeur, de fournir un bien conforme à ce qui a été convenu,
- Le vendeur est tenu de garantir les défauts cachés du bien vendu qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminue tellement cet usage que l’acheteur ne l’aurait pas acquis ou n’en aurait donné qu’un moindre prix s’il les avait connus (C. civ. art. 1641).
La question se pose très souvent en jurisprudence : sur lequel de ces fondements doit être intentée l’action de l’acheteur ? La réponse est importante puisque, outre que l’avocat doit présenter le moyen adéquat, leur régime (notamment de prescription) est différent.
L’obligation de délivrance
L’obligation de délivrance en matière immobilière (appartement, maison)
La délivrance conforme implique que l’état, tant matériel que juridique, de l’immeuble ne se soit pas modifié entre la date de la vente et l’époque où il est mis à la disposition de l’acquéreur. Il doit y avoir conformité matérielle et juridique entre l’immeuble vendu et l’immeuble délivré à l’acquéreur. La délivrance doit par ailleurs être complète et porter sur tous les accessoires de l’immeuble. Enfin, le vendeur doit délivrer à l’acquéreur la ” contenance “ promise.
En cas de difficulté sur ce point, il importe, bien sûr, de s’attacher aux stipulations du contrat.
Bien que les immeubles délivrés soient ceux qui ont été vendus, ils ne présentent pas les qualités expressément convenues dans les cas suivants et le vendeur ne respecte pas son obligation de délivrance (il y a non-conformité) :
- si l’appartement situé au 19e étage d’un immeuble qui en compte trente, est desservi par un ascenseur dont les performances sont très inférieures à celles qui ont été mentionnées dans l’acte (Paris, 30 juin 1987, Gaz. Pal. 1988. 2, somm. 361),
- si un appartement vendu avec le label « confort acoustique » se révèle non conforme aux spécifications de ce label (Civ. 3e, 12 juin 1979, Bull. civ. III, no 127 ; 2 juin 1982, Gaz. Pal. 1982. 2, panor. 372, obs. A.P.)
- si un appartement a été vendu avec des placards dont il est, en réalité, dépourvu (Civ. 3e, 3 janv. 1979, Bull. civ. III, no 3)
- si sa disposition a été modifiée par rapport aux plans de l’immeuble déposés chez le notaire en annexe à l’acte de vente (Civ. 3e, 26 mai 1994, no 92-15.911 , Bull. civ. III, no 110 ; D. 1995. Somm. 277, obs. F. Magnin ; RDI 1995. 117, obs. J.-C. Groslière et C. Saint-Alary-Houin ),
- si un immeuble vendu libre d’occupation se révèle, en vérité, loué (Civ. 3e, 29 janv. 2003, no 01-02.759 , Bull. civ. III, no 23 ; D. 2003. 534 ; AJDI 2003. 793 ; AJDI 2003. 794, obs. F. Cohet-Cordey ; Defrénois 2003. 844, obs. E. Savaux),
- si l’acte de vente portant sur une maison d’habitation avec cour et magasin mentionne que les trois fenêtres murées du magasin pourront être réouvertes, alors qu’en réalité une telle possibilité n’est pas offerte à l’acquéreur (Civ. 3e, 25 mai 2005, D. 2005. IR 1734 )
- en présence d’un immeuble vendu comme étant raccordé au réseau public d’assainissement alors que le raccordement n’était pas conforme aux stipulations conventionnelles, (Civ. 3e, 28 janv. 2015, no 13–19.945)
- V. aussi, s’agissant des défauts esthétiques affectant l’immeuble vendu, Civ. 3e, 30 juin 2016, no 15-12.447 , D. 2016. 1497 ; RDI 2016. 478, obs. Ph. Malinvaud ).
- lorsque l’immeuble n’est pas conforme aux normes administratives ou légales et que l’acte précise le contraire ( Cass. 3e civ., 6 avr. 2022, n° 21-14.173 ) ;
- lorsqu’a été stipulé que la chose vendue n’est pas polluée de façon importante et que tel n’est pas le cas ( Cass. 3e civ., 12 nov. 2014, n° 13-25.079 : JurisData n° 2014-034312 ; JCP N 2015, n° 16, 1132 , M. Hauterau-Boutonnet) ;
- lorsqu’a été stipulé que la chose vendue n’est pas polluée alors qu’elle l’est ( Cass. 3e civ., 29 févr. 2012, n° 11-10.318 : JurisData n° 2012-003056 ; JCP N 2012, n° 16, 1186 , note O. Herrnberger ; JCP N 2012 n° 26, 1279, chron. X. Lièvre et Fl. Muller ; JCP N 2012, n° 48, 1379, [sect] 12 , obs. M. Boutonnet ; D. 2012, p. 736 ; Defrénois 2012, p. 455 , obs. J.-B. Seube ; Contrats, conc. consom. 2012, comm. 117 , L. Leveneur ; RDC 2012, p. 1306 , M. Mekki ; JCP N 2013, n° 4, 1007, n° 20, note S. Piédelièvre. – M. Boutonnet, L’obligation de délivrance confrontée à la vente d’immeubles pollués, une nouvelle technique de gestion du risque environnemental ? : Environnement et dév. durable 2013, étude 24 ) ;
- lorsque la destination de l’immeuble a été précisée contractuellement et que celle-ci n’est pas possible ( Cass. 3e civ., 6 oct. 2004, n° 02-20.755 : JurisData n° 2004-025087 ; Contrats, conc. consom. 2005, comm. 24 , note L. Leveneur. – Cass. 3e civ., 11 sept. 2013, n° 12-20.894 : JurisData n° 2013-019206 ; JCP N 2013, n° 43, act. 1047 . – Cass. 3e civ., 7 avr. 2016, n° 15-15.678 : JurisData n° 2016-007038 ; JCP N 2016, n° 35, 553 et 1249 , note Y. Dagorne-Labbe), sachant qu’un vice du consentement pourrait être invoqué ( Cass. 3e civ., 25 juin 2014, n° 11-27.343 et 12-17.152 : JurisData n° 2014-015146 ; BJDU 6/2014, p. 460 , obs. J. Tremeau).EncyclopédiesJurisClasseur Notarial Formulaire V° Vente d’immeuble – Fasc. 520 : VENTE D’IMMEUBLE. – Délivrance. – Transfert de propriété et des risques
La différence
Le Code civil distingue le défaut de conformité et le vice caché (C. civ., art. 1603), par nature différents :
- Lle défaut de conformité provient d’une différence entre la chose convenue et la chose livrée trahissant l’inexécution, par le vendeur, de son obligation de délivrance conforme. Le défaut de conformité est apprécié uniquement en fonction des stipulations contractuelles (Cass. 3e civ., 28 janv. 2015, n° 13-19.945 ).
- le vice caché concerne une chose qui, quoique conforme à celle convenue, se révèle atteinte d’un défaut affectant son usage normal.
Ce qui revient à dire qu’une chose peut ne pas être conforme aux prévisions contractuelles tout en étant conforme à son usage normal.
Une différence parfois trop subtile
En pratique, cependant, la distinction est moins nette. Si elle se comprend bien lorsque le défaut de conformité provient d’une différence de nature ou de quantité entre la chose commandée et la chose livrée, elle devient floue dès que le défaut de conformité porte sur une qualité de la chose. En effet, lorsque la qualité en cause est liée à l’usage de la chose et que sa diminution atteint un certain degré, le défaut de conformité tend à devenir un vice affectant l’usage normal de la chose. La décision rapportée révèle en ce sens la difficulté que pose dans ce cas la distinction entre vice d’usage et défaut de conformité.
Tableau de jurisprudence
Les portes étaient affectées d’un mauvais positionnement de la partie serrure-poignée, posée à moins d’un centimètre du mur, de sorte qu’il était difficile de manoeuvrer la clé sans se blesser ; leurs ferrures présentaient des traces d’oxydation | Vice caché : les défauts atteignant les portes les rendaient impropres à leur usage normal | Cass. 3e civ. 30-1-2020 no 18-26.790 F-D, Sté Janneau menuiseries c/ Sté Phileocle |
Inondation du sous-sol de la maison | Les infiltrations d’eau faisaient obstacle à une utilisation normale des pièces concernées, ce dont il résultait qu’elles constituaient des vices cachés. | Cass. 3e civ. 19-10-2023 no 22-10.090 F-D |
appartement qui avait été vendu avec le label « confort acoustique » et qu’il s’est révélé non conforme aux spécifications de ce label | Défaut de conformité | (Cass. 3e civ. 26-5-1994) |
une maison qui n’était que partiellement reliée au réseau public d’assainissement alors que l’acte de vente précisait qu’elle y était raccordée | Défaut de conformité | Cass. 3e civ. 28-1-2015 n° 13-19.945). |
défaut de conformité la non-conformité des étangs à la réglementation en vigueur au jour de la vente ( | Vice caché | Cass. 3e civ., 2 févr. 2017, n° 15-26.515 ) |
Régime juridique distinct
Si le défaut de délivrance conforme et le vice caché permettent tous les deux à l’acheteur de demander la résolution de la vente, les actions diffèrent sur plusieurs points, notamment
- le délai pour agir (2 ans pour le vice caché en application de C. civ. art. 1648 ; 5 ans pour le défaut de délivrance en application du droit commun, C. civ. art. 2224 et C. com. art. L 110-4)
- et les conséquences de la résolution (cf. C. civ. art. 1645, 1646 et 1647 fixant des règles particulières pour les vices cachés).
Subsidiarité de l’action en délivrance conforme (non-cumul)
Lorsque le défaut affectant le bien vendu constitue à la fois un défaut de conformité et un vice caché, seule l’action en garantie des vices cachés est ouverte à l’acheteur (notamment, Cass. 3e civ. 24-4-2003 no 98-22.290 FS-PB : RJDA 8-9/03 no 826 ; Cass. 3e civ. 20-10-2010 no 09-68.052 FS-D : RJDA 2/11 no 125, excluant que le défaut soit sanctionné sur le terrain d’un manquement à l’obligation de délivrance ; Cass. com. 19-3-2013 no 11-26.566 FP-PB : RJDA 7/13 no 595 excluant la mise en œuvre de la responsabilité contractuelle de droit commun : C. civ. art. 1231-1, ex-art. 1147).
Quel est le rôle du juge ?
La Cour de cassation a défini le rôle du juge en la matière : saisi d’une action en garantie des vices cachés dont la preuve n’est pas apportée, il n’est pas tenu de rechercher si le défaut constitue un manquement à l’obligation de délivrance (Cass. ass. plén. 21-12-2007 no 06-11.343 : Bull. civ. ass. plén. no 10) et, saisi d’une action pour un défaut de délivrance qui n’est pas établi, il n’a pas à vérifier si l’action pour vice caché est fondée (Cass. 1e civ. 28-3-2018 no 17-10.031 FD).
Si le juge constate cette fois un manquement à l’obligation de délivrance, il n’a pas à rechercher s’il constitue aussi un vice caché (Cass. 3e civ. 28-1-2015 no 13-19.945 FS-PBR : RJDA 4/15 no 253, à propos d’une vente immobilière ; dans le même sens, pour une vente de matériel professionnel, Cass. 1e civ. 30-9-2010 no 09-11.552 : RJDA 5/11 no 402 ; Cass. com. 22-11-2016 no 14-23.658 F-D : RJDA 3/17 no 167).
Le juge qui constate un vice caché ne peut pas condamner le vendeur pour défaut de délivrance. Après avoir constaté que le défaut du bien vendu rend celui-ci impropre à sa destination, le juge ne peut pas condamner le vendeur à indemniser l’acheteur pour manquement à son obligation de délivrer un bien conforme à ce qu’ils étaient convenus. Si le juge aconstaté l’existence d’un défaut qui rend le bien impropre à sa destination, caractérisant ainsi un vice caché,il doit alors rejeter la demande fondée sur l’obligation de délivrance. (Cass. 3e civ. 30-1-2020 no 18-26.790 F-D, Sté Janneau menuiseries c/ Sté Phileocle)
Réforme juridique à venir
Dans sa rédaction soumise à consultation publique en juillet 2022, le projet de réforme du droit des contrats spéciaux envisage de ne retenir qu’une seule garantie couvrant à la fois le défaut de conformité et l’impropriété du bien à l’usage habituellement attendu et soumise à une prescription de 2 ans.
Sources
Répertoire de droit immobilier Vente : effets – Opposabilité aux tiers du transfert de la propriété – Olivier BARRET ; Philippe BRUN – Janvier 2020 (actualisation : Février 2024)
EncyclopédiesJurisClasseur Notarial Formulaire V° Vente d’immeuble – Fasc. 520 : VENTE D’IMMEUBLE. – Délivrance. – Transfert de propriété et des risques